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L’astrologie grec (1) : la notion de destin en Grèce.

Cet article est le premier d’une série d’articles sur l’astrologie en Grèce. Il prend la suite de la série d’articles sur l’astrologie sumérienne.

Le destin des hommes est décidé par les Moires (I), comme le relate de nombreuses œuvres littéraires de l’Antiquité grecque comme par exemple dans le cycle d’Oedipe (II).

I : Les Moires.

Les trois Moires (A) décidaient du destin des hommes, auquel les dieux de l’Olympe ne pouvaient rien (B).

A : Les trois Moires.

Dans la mythologie grecque, ce sont les Moires qui sont chargées du destin des hommes. Elles portent le nom de Parques chez les Romains. Elles sont évoquées de manière éparse dans l’Illiade » d’Homère (1). C’est chez Hésiode dans la « théogonie » qu’elles sont les plus présentes (2).

1 : « L’Illiade » d’Homère.

Un passage de l’Illiade évoque « les Moires » au sujet de la mort d’Hector.

« Il arrive qu’un homme en perde un autre, un ami,

Ou un frère de même ventre, ou un fils ;

Il pleure et sanglote, puis renonce.

Car les Moires ont donné aux hommes un cœur à toute supporter. « 

(Homère, Illiade, XXIV, folio, p. 528).

Hector, fils du roi Priam de Troie, est tué par Achille. La scène donne lieu à une description exceptionnelle à la fin de l’Illiade. C’est l’occasion pour Homère d’évoquer le rôle des Moires dans le destin des hommes.

Achille gardant le corps d’Hector, coupe athénienne à figures rouges, v. 490-480 av. J.-C.

« Il dit. Elle hurla, sa femme, et lui répondit par cette parole :

« Hélas ! où s’en est allée ta sagesse qui autrefois

Te rendait célèbre chez les étrangers et chez ceux sur qui  tu règnes ?

Tu peux aller vers les bateaux achéens, seul,

Sous le regard de l’homme qui a tué, foule d’âmes nobles,

Nos fils ? Tu as un cœur de fer.

S’il t’aperçoit, s’il te voit de ses yeux,

L’homme cruel et décevant, il n’aura pas de pitié ;

Il n’aura pas de respect ; maintenant nous pleurons

Assis dans le palais. La Moire puissante autrefois

A tissé un fil quand il est né, quand je l’ai mis au monde ;

Des chiens aux pieds agiles le dévoreraient loin de ses parents,

Près d’un homme dur, dont, moi, je voudrais manger

Le foie en m’accrochant à lui. Alors seraient honorés les hauts faits.

De mon enfant, qu’il a tué, non pas comme un lâche,

Mais alors que, les Troyens et les Troyennes aux seins généreux,

Il les défendait , sans penser à fuit ou à s’abriter. »

(Homère, Illiade, XXIV, folio, p. 533).

Dans l’Illiade, là où les Moires apparaissent au sujet de la mort d’Hector. Homère explique que les Moires sont chargées de fixer le destin des hommes au moment de leur naissance. Elles tissent avec un fil la vie et la mort.

Au moment de la naissance d’Hector, il fut décidé que celui-ci mourrait loin de ses parents, de la main d’un « homme dur », c’est-à-dire d’un guerrier.

On voit que selon Homère, le destin des hommes est fixé à l’avance et dès la naissance. Il y a une sorte de déterminisme, une prédestination qui fera l’objet d’une intense réflexion à l’époque chrétienne.

2 : La « Théogonie » d’Hésiode.

Les Parques sont chargées de poursuivre les fautes des hommes contre les dieux ou les autres hommes. Ces fautes sont punies de mort.

« Elle mit au monde aussi les Parques et Kères, implacables vengeresses, qui poursuivent toutes fautes contre les dieux ou les hommes, déesses dont le redoutable courroux jamais ne s’arrête avant d’avoir au coupable, quel qu’il soit, infligé un cruel affront. » (Hésiode, Théogonie, p. 39-40).

Les Parques sont au nombre de trois.

« Et des Parques, à qui le prudent Zeus a accordé le plus haut privilège, Clothô, Lachésis, Atropos, qui, seules, aux hommes mortels donnent soit heur et malheur. » (Hésiode, Théogonie, p. 64).

Les trois Parques sont :

  1. Clotho (« la Fileuse ») : tisse le fil de la vie.
  2. Lachésis (« la Réparatrice ») : déroule le fil de la vie.
  3. Atropos (« l’Inflexible ») : coupe le fil de la vie.
Le roi Pélée, père d’Achille, et les trois Moires, mosaïque du bain d’Achille dans la maison de Thésée (Parc archéologique de Paphos).

Chacune a une fonction précise. L’une tisse le fil de la vie, l’une le déroule et la dernière coupe le fil lorsque le tissu a été tissé.

B : Les douze dieux de l’Olympe.

En Grèce et sur le modèle sumérien, les principaux dieux étaient douze. Ce sont les Dieux, olympiens. Il existe plusieurs listes des Dieux de l’Olympe. En ce qui me concerne, je me réfère à celle donnée par Edith Hamilton dans son livre sur « la mythologie« .

A Rome, continuatrice de la culture hellène, il y a également un conseil des douze dieux, les « Dii Consentes » ou « Dii Complices« . Celui-ci est en réalité un mélange entre le panthéon grec et le panthéon étrusque.

  1. Zeus (Jupiter).
  2. Poséidon (Neptune).
  3. Hadès (Pluton).
  4. Hestia (Vesta).
  5. Héra (Junon).
  6. Arès (Mars).
  7. Athéna (Minerve).
  8. Apollon.
  9. Aphrodite (Vénus).
  10. Hermès (Mercure).
  11. Artémis (Diane).
  12. Héphaistos (Vulcain).

On retrouve l’idée de douze dieux intervenant dans le destin des hommes dans « l’Odyssée » d’Homère (1) et dans « Prométhée enchaîné » d’Eschyle (2).

1 : « L’Odyssée » d’Homère.

Ulysse, une fois la destruction de Troie, voulu rentrer chez lui, rejoindre sa femme à Ithaque. Au début de l’Odyssée, les dieux se réunissent en assemblée, sur le modèle des dieux sumériens.

« Mais tous les autres dieux tenaient leur assemblée dans le manoir de Zeus : devant eux, le seigneur de l’Olympe venait de prendre la parole. Or le Père des dieux et des hommes pensait à l’éminent Egisthe, immolé par Oreste, ce fils d’Agamemnon dont tous chantaient la gloire.

Plein de ce souvenir, Zeus dit aux immortels :

Zeus : Ah ! misère !… Ecoutez les mortels mettre en cause les dieux ! C’est de nous, disent-ils, que leur propre sottise, aggravent les malheurs assignés par le sort. Tel encor cet Egisthe ! pour aggraver le sort, il voulut épouser la femme de l’Atride et tuer le héros sitôt qu’il rentrerait. La mort était sur lui : il le savait ; nous-même, nous l’avions averti et, par l’envoi d’Hermès, le guetteur rayonnant, nous l’avions détourné de courtiser l’épouse et de tuer le roi, ou l’Atride en son fils trouverait un vengeur, quand Oreste grandi regretterait sa terre. Hermès, bon conseiller, parla suivant nos ordres. Mais rien ne put fléchir les sentiments d’Egisthe. Maintenant, d’un seul coup, il vient de tout payer !

Athéna, la déesse au yeux pers, répliqua :

Athéna : Fils de Cronos, mon père, suprême Majesté, celui-là n’est tombé que d’une mort trop juste, et meure comme lui qui voudrait l’imiter ! Mais moi, si j’ai le cœur brisé, c’est pour Ulysse, pour ce sage, accablé du sort, qui, loin des siens, continue de souffrir dans une île aux deux rives. Sur ce nombril des mers, en cette terre aux arbres, habite une déesse, une fille d’Atlas, cet esprit malfaisant, qui connaît, de la mer entière, les abîmes et qui veille, à lui seul, sur les hautes colonnes qui gardent, écarté de la terre, le ciel. Sa fille tient captif le malheureux qui pleure. Sans cesse, en litanies de douceurs amoureuses, elle veut lui verser l’oubli de son Ithaque. Mais lui, qui ne voudrait que voir monter un jour les fumées de sa terre, il appelle la mort !… Ton cœur, roi de l’Olympe, est-il donc insensible ? Ne fut-il pas un temps qu’Ulysse et ses offrandes, dans la plaine de Troie, près des vaisseaux d’Argos, trouvaient grâce à tes yeux ? Aujourd’hui, pourquoi donc ce même Ulysse, ô dieu, t’est-il tant odieux ?

Zeus, l’assembleur des nues, lui fit cette réponse.

Zeus : Quel mot s’est échappé de l’enclos de tes dents, ma fille ? Eh ! comment donc oublierait-je jamais cet Ulysse divin qui, sur tous les mortels, l’emporte et par l’esprit et par les sacrifices qu’il fit toujours aux dieux, maîtres des champs du ciel ? Mais non ! c’est Poséidon, le maître de la terre ! Sa colère s’acharne à venger le Cyclope, le divin Polyphème, dont la force régnait sur les autres Cyclopes et qu’Ulysse aveugla : pour mère, il avait eu la nymphe Thoosa, la fille de Phorkys, un des dieux-conseillers de la mer inféconde, et c’est à Poséidon qu’au creux de ses cavernes, elle s’était donnée. De ce jour, Poséidon l’Ebranleur de la terre, sans mettre Ulysse à mort, l’éloigne de son île… Mais allons ! tous ici, décrétons son retour ! cherchons-en les moyens ! Poséidon n’aura plus qu’à brider sa colère, ne pouvant tenir tête à tous les Immortels, ni lutter, à lui seul, contre leur volonté.

Athéna : fils de Cronos, mon père, suprême Majesté, si, des dieux bienheureux, c’est maintenant l’avis que le tant sage Ulysse en sa maison revienne, envoyons, sans tarder, jusqu’à l’île océane, Hermès, le rayonnant porteur de tes messages, et qu’en toute vitesse, il aille révéler à la Nymphe bouclée le décret sans appel sur le retour d’Ulysse et lui dise comment ce grand cœur doit rentrer !  » (Homère, l’Odyssée, XXIV, folio, p. 26-29).

Poséidon empêche Ulysse de rentrer chez-lui, mais l’assemblée des dieux va décider d’autoriser le retour du héros dans son royaume d’Ithaque. Ce sera l’objet de l’Odyssée qui relatera le retour tourmenté d’Ulysse auprès de sa femme Pénélope, de son fils et surtout de son chien. Le chien, fidèle ami de l’homme dans la civilisation occidentale, sera le premier à reconnaître son maître.

Ulysse lié au mât de son navire pour ne pas céder au chant des sirènesMusée national archéologique d’Athènes (inv. 1130).

Zeus fait référence à Egisthe tué par Oreste, le fils d’Agamemnon. Cela renvoi au mythe des Atrides, une famille marquée par le meurtre, le parricide, l’infanticide et l’inceste, sur le modèle du mythe d’Œdipe que nous verrons ensuite. Elle fit l’objet d’une trilogie théâtrale d’Eschyle, qui porte le nom d’Orestie (Agamemnon, Les choéphores et les Euménides). On la trouve à la fin du volume des éditions Folio sur les tragédies d’Eschyle.

Iphigénie menée au sacrifice.

L’évocation du destin funeste des Atrides, est l’occasion pour Zeus d’expliquer le fonctionnement du destin en Grèce. Il dit que les dieux peuvent aggraver les malheurs décidés par le « sort ».

Le sort, c’est le destin choisi par les Moires au moment de la naissance. Ce destin-là ne peut pas être modifié par l’assemblée des dieux, en revanche cette assemblée, sur le modèle de celle des dieux de Sumer peut aggraver le destin d’un homme, c’est-à-dire rajouter des mauvaises choses à sa vie.

Le destin funeste d’Egisthe fut décidé dès sa naissance par les Moires. Zeus dit que « la mort était sur lui ». Cela signifie que les Moires avaient décidé de le faire mourir. Nous verrons que rien ne peut contrecarrer ce destin. Éventuellement, il peut être retardé, mais il est inéluctable. Une conception qui ne sera pas reprise dans le christianisme qui introduira la notion de libre-arbitre qui semble être absente dans la culture grecque. C’est la question de la simple ou de la double prédestination qui agitera le monde chrétien à l’époque de saint-Augustin ou à l’époque de l’émergence du protestantisme.

Les Dieux peuvent prévenir les hommes des malheurs qui arrivent. C’est ce que précise Zeus lorsqu’il dit qu’Egisthe fut prévenu à l’avance. Les dieux avaient envoyé Hermès, messager des dieux, le prévenir.

Si les Moires gardent le monopole du choix du destin au moment de la naissance, l’assemblée des dieux peut décider de deux choses :

  1. Aggraver les malheurs.
  2. Annoncer le destin par un messager.

2 : « Prométhée enchainé » d’Eschyle.

Dans la pièce de théâtre d’Eschyle « Prométhée enchaîné », on découvre que les dieux n’interviennent pas dans la définition du destin, contrairement à la culture mésopotamienne.

A Sumer, c’est l’assemblée des dieux qui fixe chaque année le destin des hommes et des Nations. En Grèce, les dieux n’interviennent pas. Le choix du destin relève exclusivement des Moires. C’est que montre « Prométhée enchaîné ».

« Le coryphée : Et qui donc gouverne la Nécessité ?

Prométhée : Les trois Parques et les Erinyes à l’implacable mémoire.

Le coryphée : Leur pouvoir dépasse donc celui de Zeus ?

Prométhée : Il ne saurait échapper à son destin. »

(Eschyle, Tragédies complètes, Prométhée enchainé, folio, p. 205).

Prométhée distingue les trois Parques (les Moires) et les Erinyes. Les Erinyes sont des déesses infernales chargées de persécuter les hommes sur lesquels ont été jeté une malédiction. Elles portent le nom de Furies chez les Romains.

Oreste à Delphes. Cratère en cloche paestan à figures rouges, vers 330 av. J.-C.

Comme pour les Moires, il y a trois Erinyes :

  1. Mégère : La haine.
  2. Tisiphone : la vengeance.
  3. Alecto : l’implacable.

Le destin tisé par les Moires semble implacable. Il est impossible d’y échapper.

« Mais que dis-je ? Tout entier, d’avance, sais-je pas l’avenir ? Nul malheur ne viendra sur moi que je n’aie prévu. Il faut porter d’un cœur léger le sort qui vous est fait et comprendre qu’on ne lutte pas contre la force du destin. » (Eschyle, Tragédies complètes, Prométhée enchainé, folio, p. 192-193).

C’est ce que l’on retrouve dans l’histoire de Méléagrine telle que relaté par Apollodore.

« D’Oenée, Althéa eut aussi Méléagre, dont certains disent toutefois qu’il fut le fils d’Arès. Quand l’enfant eut atteint l’âge de sept ans, les Moires apparurent et déclarèrent que Méléagre mourrait quand le tison qui était dans le foyer serait entièrement consumé. À ces paroles, Althée courut ôter le tison du feu, et le conserva dans un coffre. Ainsi Méléagre grandit, invulnérable de corps et noble d’esprit.

Mais lui ensuite aussi mourut ; et voici comment. Le temps était venu de sacrifier aux dieux les prémices annuelles des récoltes : Oenée accomplit les rites en l’honneur de toutes les divinités, mais il en oublia une, Artémis. Irritée, la déesse envoya un sanglier énorme et très fort, qui ravageait la campagne et tuait toutes les bêtes et les personnes qu’il rencontrait sur sa route. Oenée appela alors, de tous les coins de la Grèce, les hommes les plus braves, promettant, comme prix, la peau du sanglier à celui qui réussirait à le tuer. (…) Oenée hébergea tous les participants pendant neuf jours ; quand ensuite arriva le dixième jour, Céphée, Ancée et quelques autres refusèrent de participer à la chasse en compagnie d’une femme ; mais Méléagre, quoique marié à Cléopâtra, la fille d’Idas et de Marpessa, désirait avoir des enfants avec Atalante, et ainsi il obligea tout le monde à participer à la chasse, malgré la présence de la jeune femme. (…) La première Atalante perça, d’une flèche, l’échine de l’animal, et ensuite Amphiaraos l’atteignit entre les deux yeux ; enfin Méléagre lui planta sa lance dans le ventre et le tua : la peau, en conséquence, lui revint, et le jeune homme en fit don à Atalante. Mais les fils de Thestios, indignés qu’une femme obtienne le prix à la place de tant d’hommes, lui enlevèrent la peau, soutenant qu’elle revenait de toute façon à leur famille, si Méléagre ne voulait pas la garder pour lui.

Méléagre s’irrita, tua les fils de Thestios et rendit la peau à Atalante. C’est ainsi qu’Althéa, affligée par la mort de ses frères, fit brûler le tison entièrement, et Méléagre mourut sur l’heure. » (Apollodore, Bibliothèque, Livre I, 8, 2-3).

II : Le destin dans le mythe d’Œdipe.

Nous retrouvons la notion de destin dans la vie d’Œdipe et de sa famille, les Labdacides. La trilogie œdipienne concerne les trois pièces de théâtre écrites par Sophocle sur le destin d’Œdipe, roi de Thèbes. Il s’agit d’Œdipe roi (A), d’Œdipe à Colonne (B) et Antigone (C).

A : « Œdipe-roi » de Sophocle.

La ville de Thèbes est frappée par le malheur (1) en raison des crimes de son roi dont l’origine remonte à ses ancêtres (2). L’oracle de Delphes (3) joua un rôle important dans le malheur d’Œdipe (4).

1 : Les malheurs de Thèbes.

Depuis qu’Œdipe est devenu roi de Thèbes, la cité est frappée de malheurs qui menacent de la détruire complètement. Une terrible peste qui ressemble beaucoup a au corona-virus que nous avons connu en 2020.

« Tu le vois comme nous, Thèbes, prise dans la houle, n’est plus en état de tenir la tête au-dessus du flot meurtrier. La mort la frappe dans les germes où se forment les fruits de son sol, la mort la frappe dans ses troupeaux de bœufs, dans ses femmes, qui n’enfantent plus la vie. Une déesse porte-torche, déesse affreuse entre toutes, la Peste, s’est abattue sur nous, fouillant notre ville et vidant peu à peu la maison de Cadmos. » (Sophocle, tragédies complètes, Œdipe-roi, folio classique, p. 186).

La Pythie de Delphe dit que les dieux sont en colère contre la ville en raison de la mort du roi Laïos dont le meurtrier n’a pas encore été retrouvé. Un devin consulté par Œdipe précise que le tueur est un Thébain coupable d’inceste et de parricide. Il deviendra aveugle et mendiant en punition de ce crime.

2 : Les crimes d’Œdipe.

L’épidémie prendra fin avec la découverte du crime d’Œdipe et sa fuite de la cité.

« Le Coryphée : Regardez, habitants de Thèbes, ma patrie. Le voilà, cet expert en énigmes fameuses, qui était devenu le premier des humains. Personne dans sa ville ne pouvait contempler son destin sans envie. Aujourd’hui, dans quel flot d’effrayante misère est-il précipité ! C’est donc ce dernier jour qu’il faut, pour un mortel, toujours considérer. Gardons-nous d’appeler jamais un homme heureux, avant qu’il ait franchi le terme de sa vie sans avoir subi un chagrin. » (Sophocle, tragédies complètes, Œdipe-roi, folio classique, p. 235-236).

Il faut lire Apollodore pour comprendre les malheurs de Thèbes et de son roi, en particulier la dimension politique qui se cache derrière.

« Après la mort d’Amphion, le sceptre passa dans les mains de Laïos. Il épousa la fille de Ménoitios, Jocaste selon les uns, Épicaste selon les autres. L’oracle du dieu avait prévenu Laïos qu’il n’ait pas d’enfants, car le fils qui naîtrait tuerait son père. Mais le roi, ivre, s’unit tout de même à sa femme. Il donna le nouveau-né à des bergers pour qu’ils l’exposent après lui avoir transpercé les chevilles avec une épingle. L’enfant fut exposé sur le mont Cithéron. Mais les bouviers de Polybe, le roi de Corinthe, le trouvèrent et le portèrent à sa femme, Périboéa. Elle l’adopta et le fit passer pour son enfant ; elle soigna ses chevilles et l’appela Œdipe, à cause de ses pieds gonflés. Jeune homme, Œdipe était plus fort que tous les garçons de son âge. Un jour, par jalousie, ils l’insultèrent en l’appelant  » le bâtard « . Le garçon en demanda la raison à Périboéa, mais il ne put rien savoir. Alors il se rendit à Delphes pour interroger le dieu sur ses parents. Le dieu lui répondit de ne jamais retourner dans sa patrie, sinon il tuerait son père et coucherait avec sa mère. Ayant entendu cela, et croyant que ses parents étaient ceux qui en réalité n’en portaient que le nom, il quitta Corinthe. En traversant la Phocide sur son char, dans un étroit défilé il rencontra le char sur lequel voyageait Laïos. Polyphontès, le héraut de Laïos, lui cria de se ranger ; Œdipe n’obéit pas et resta où il était. Alors Polyphontès tua un de ses chevaux. Oedipe, furieux, tua et Polyphontès et Laïos. Puis il gagna Thèbes. » (Apollodore, La bibliothèque, éditions de l’aire, p. 139-140).

Laïos était roi de Thèbes, il épousa Jocaste. L’oracle de Delphes avait prévenu le souverain qu’il ne devait pas avoir d’enfant. Car s’il devait en avoir un, celui-ci le tuerait.

Or, par erreur, son épouse mit au monde un enfant de lui. Terrorisé à l’idée d’être tué par la main de son propre fils, il le fit abandonner à des bergers, puis récupéré et adopté par le roi de Corinthe qui l’éleva comme son fils. Il fut nommé Œdipe. La scène de la découverte de l’enfant et son adoption font penser à celle de Moïse et du pharaon.

« Un homme de la maison de Lévi était allé prendre pour femme une fille de Lévi. Cette femme devint enceinte et enfanta un fils. Voyant qu’il était beau, elle le cacha pendant trois mois. Comme elle ne pouvait plus le tenir caché, elle prit une caisse de jonc et, l’ayant enduite de bitume et de poix, elle y mit l’enfant et le déposa parmi les roseaux, sur le bord du fleuve. La sœur de l’enfant se tenait à quelque distance pour savoir ce qui lui arriverait.

La fille de Pharaon descendit au fleuve pour se baigner, et ses compagnes se promenaient le long du fleuve. Ayant aperçu la caisse au milieu des roseaux, elle envoya sa servante pour la prendre. Elle l’ouvrit et vit l’enfant : c’était un petit garçon qui pleurait ; elle en eut pitié, et elle dit :  » C’est un enfant des Hébreux.  » Alors la sœur de l’enfant dit à la fille de Pharaon :  » Veux-tu que j’aille te chercher une nourrice parmi les femmes des Hébreux pour allaiter cet enfant ?  » —  » Va  » lui dit la fille de Pharaon ; et la jeune fille alla chercher la mère de l’enfant. La fille de Pharaon lui dit :  » Emporte cet enfant et allaite-le-moi ; je te donnerai ton salaire.  » La femme prit l’enfant et l’allaita. Quand il eut grandi, elle l’amena à la fille de Pharaon, et il fut pour elle comme un fils. Elle lui donna le nom de Moïse, «  car, dit-elle, je l’ai tiré des eaux. » (Exode, II : 1-10)

Nous retrouvons le même schéma narratif dans plusieurs contes de fées des frères Grimm.

Nous sommes en présence d’un archétype de l’inconscient collectif ayant la forme d’un schéma narratif. Car les archétypes peuvent être des images ou des schémas narratifs. On les retrouve autant dans les mythologies que dans les contes de fées.

Prenons le cas d’un conte de Grimm, « Les trois cheveux d’or du diable » (conte n°75).

« Il était une fois une pauvre femme qui mit au monde un fils, et comme il était coiffé quand il naquit, on lui prédit que, dans sa quatorzième année, il épouserait la fille du roi.

Sur ces entrefaites, le roi passa par le village, sans que personne le reconnût ; et comme il demandait ce qu’il y avait de nouveau, on lui répondit qu’il venait de naître un enfant coiffé, que tout ce qu’il entreprendrait lui réussirait, et qu’on lui avait prédit que, lorsqu’il aurait quatorze ans, il épouserait la fille du roi.

Le roi avait un mauvais cœur, et cette prédiction le fâcha. Il alla trouver les parents du nouveau-né, et leur dit d’un air tout amical : « Vous êtes de pauvres gens, donnez-moi votre enfant, j’en aurai bien soin. » Ils refusèrent d’abord ; mais l’étranger leur offrit de l’or, et ils se dirent : « Puisque l’enfant est né coiffé, ce qui arrive est pour son bien. » Ils finirent par consentir et par livrer leur fils.

Le roi le mit dans une boite, et chevaucha avec ce fardeau jusqu’au bord d’une rivière profonde où il le jeta, en pensant qu’il délivrait sa fille d’un galant sur lequel elle ne comptait guère. Mais la botte, loin de couler à fond, se mit à flotter comme un petit batelet, sans qu’il entrât dedans une seule goutte d’eau ; elle alla ainsi à la dérive jusqu’à deux lieues de la capitale, et s’arrêta contre l’écluse d’un moulin. Un garçon meunier qui se trouvait là par bonheur l’aperçut et l’attira avec un croc ; il s’attendait, en l’ouvrant, à y trouver de grands trésors : mais c’était un joli petit garçon, frais et éveillé. Il le porta au moulin ; le meunier et sa femme, qui n’avaient pas d’enfants, reçurent celui-là comme si Dieu le leur eût envoyé. Ils traitèrent de leur mieux le petit orphelin, qui grandit chez eux en forces et en bonnes qualités.« 

Un schéma narratif classique dans les contes de fées ou les textes mythologiques.

Une prophétie désigne le successeur du roi. Ici, c’est le cas, puisque le mariage avec sa fille fera de lui le successeur du roi sur le trône par alliance.

Mais le Roi va mettre toute son énergie pour empêcher son successeur d’accéder au trône. Il s’oppose au renouvellement de la société. Il veut empêcher la succession naturelle du trône. Il s’oppose à l’accomplissement de la prophétie et donc du destin de l’enfant. C’est le même processus chez Oedipe ou Moïse. Dans le cas d’Œdipe, c’est pour empêcher la mort du Roi, chez Moïse, c’est pour l’empêcher de libérer les Juifs d’Egypte.

Dans ce schéma, il y a toujours une prophétie qui annonce un événement et le roi tente d’empêcher la réalisation de la prophétie. Celui qui doit accomplir la prophétie doit se cacher pour échapper à son destin. Il est recueilli soit par une famille modeste, soit par un roi concurrent. Mais il ne peut pas échapper à son destin qui se présente à lui de manière inattendue. Afin de parvenir au but, il doit traverser un certain nombre d’épreuves qui permettent de mettre en avant ses valeurs. Nous reviendrons sur ce point dans le prochain article.

3 : Le rôle de la Pythie de Delphes.

Un jour Œdipe alla consulter l’oracle de Delphes. Celui-ci lui dit qu’il tuerait son père et épouserait sa mère. Il lui dit également de ne pas approcher de sa cité natale Il crut que l’oracle lui parlait de Corinthe et de ses parents adoptifs, alors qu’il s’agissait de Thèbes, de Laïos et de Jocaste.

Œdipe se sauva de Corinthe afin d’obéir à l’oracle. Lors de sa fuite, il rencontra son père biologique qu’il tua par colère sans savoir que c’était son père.

Pensant respecter la volonté des dieux, il devient l’instrument d’un destin fatal. Il semble être plus la victime du drame que responsable de ses actes. Ce qui frappe l’esprit, c’est le caractère inexorable du destin décidé par les dieux, sans qu’aucune faute (en apparence) ne puisse être reproché à Œdipe.

« Laïos fut enseveli par Damasistratos, le roi de Platées ; à Thèbes, Créon, fils de Ménécée, s’empara du trône. Pendant son règne, Thèbes fut frappée d’un grave fléau. La déesse Héra y envoya le Sphinx, fils d’Échidna et de Typhon ; il avait le visage d’une femme, la poitrine, les pattes et la queue d’un lion, et les ailes d’un oiseau. Les Muses lui avaient appris une énigme. Installé sur le mont Phicium, il posait cette énigme aux Thébains. Il disait :  » Quel être est pourvu d’une seule voix, qui a d’abord quatre jambes, puis deux jambes, et trois jambes ensuite ?  » Les Thébains avaient reçu un oracle, selon lequel ils seraient délivrés du Sphinx, seulement lorsqu’ils auraient résolu cette énigme. Aussi souvent se réunissaient-ils pour en deviner la signification. Mais comme ils n’y parvenaient pas, le Sphinx se saisissait de l’un d’eux et le dévorait. Nombreux étaient ceux qui avaient ainsi péri, et le dernier en date, Hémon, le fils de Créon. Alors Créon proclama que celui qui réussirait à résoudre l’énigme du Sphinx obtiendrait le royaume et la veuve de Laïos comme épouse. Ayant entendu cela, Œdipe trouva la solution : il s’agissait de l’homme. De fait, lorsqu’il est enfant, il a quatre jambes, car il se déplace à quatre pattes ; adulte, il marche sur deux jambes ; quand il est vieux, il a trois jambes, lorsqu’il s’appuie sur son bâton. Le Sphinx se jeta du haut de son rocher. Œdipe obtint le règne et, sans le savoir, il épousa sa mère ; il eut deux fils, Étéocle et Polynice, et deux filles, Ismène et Antigone. Certains soutiennent qu’il eut ses enfants d’Euryganie, la fille d’Hyperphas. » (Apollodore, La bibliothèque, éditions de l’aire, p. 140-141).

A la mort de Laïos, Créon s’empara du trône de Thèbes, mais un grand malheur s’abattit sur la ville. La déesse Héra envoya le sphinx, une créature chimérique mi femme, mi lion qui posait des énigmes a ceux quelles croisaient. En cas d’échec dans la réponse elles les dévoraient.

4 : Le malheur d’Œdipe.

Créon promet le trône à celui qui résoudra l’énigme. Nous retrouvons le schéma du conte de fées avec le roi qui cherche un successeur et qui propose une série d’épreuves pour sélectionner son héritier.

Œdipe (à droite), le sphinx (au centre) et Hermès (à gauche). Stamnos attique à figures rouges, v. 440 av. J.-C. Attribué au Peintre de Ménélas.

Œdipe parvient à résoudre l’énigme du Sphinx et devient roi de Thèbes et épouse Jocaste. Après avoir tué son père, il épousa naïvement sa mère avec laquelle il eut quatre enfants, deux filles et deux garçons.

« Quand par la suite, tout fut découvert, Jocaste se pendit, Oedipe s’aveugla et fut chassé de Thèbes. C’est alors qu’il lança une malédiction contre ses enfants, coupables de ne lui avoir porté aucun secours, alors qu’on le bannissait de la cité. En compagnie d’Antigone, il se rendit à Colone, en Attique, où se trouve l’enceinte sacrée des Euménides ; il s’y arrêta comme suppliant ; accueilli par Thésée, il mourut peu de temps après. » (Apollodore, La bibliothèque, éditions de l’aire, p. 141).

La supercherie ayant été découverte, Jocaste se donna la mort et Œdipe s’aveugla volontairement. Il fut chassé de la cité, accompagné d’Antigone.

Le chœur, dans la pièce « Antigone », explique de manière très intéressante le malheur qui frappe la maison royale de Thèbes :

« Le chœur : Heureux ceux qui, dans leur vie, n’ont pas goûté du malheur ! Quand les dieux ont une fois ébranlé une maison, il n’est point de désastre qui n’y vienne frapper les générations tour à tour.

On croirait voir la houle du grand large, quand, poussée par les vents de Thrace et par leurs brutales bourrasques, elle court au-dessus de l’abîme marin.

Et va roulant le sable noir qu’elle arrache à ses profondeurs, cependant que, sous les rafales, les caps heurtés de front gémissent bruyamment.

Ils remontent loin, les maux que je vois, sous le toits des Labdacides, toujours, après les morts, s’abattre sur les vivants, sans qu’aucune génération jamais libère la suivante : pour les abattre,

Un dieu est là qui ne leur laisse aucun répit. L’espoir attaché à la seule souche demeurée vivace illuminait tout le palais d’Œdipe,

Et voici cet espoir fauché à son tour ! Il suffit d’un peu de poussière sanglante offerte aux dieux d’en bas, provoquant des mots insensés et un délire furieux !  » (Sophocle, tragédies complètes, Antigone, folio classique, p. 105).

B : « Œdipe à Colonne » de Sophocle.

Avec la pièce « Œdipe à Colone », nous retrouvons l’ancien roi de Thèbes vieux et aveugle, en exil. Il est accompagné de sa fille Antigone afin de l’aider à marcher.

« Œdipe : Fille du Vieil aveugle, Antigone, où sommes-nous ici ? De quel peuple est-ce le pays ? Qui accordera aujourd’hui à Œdipe le vagabond quelques misérable aumône ? Je demande peu, j’obtiens moins encore – et cependant assez pour moi : mes épreuves et les longs jours que j’ai vécus m’apprennent à ne pas être exigeant ; ma fierté fait le reste. Allons ! ma fille, si tu vois un endroit où je puisse m’asseoir, soit en terre profane, soit dans l’enclos d’un dieu, arrête-moi et installe-moi là. Nous nous informerons ensuite de l’endroit où nous nous trouvons. Nous sommes là pour consulter, étrangers, les indigènes et pour faire ce qu’ils nous diront.

Antigone : Mon pauvre père, Œdipe, j’aperçois des remparts autour d’une acropole ; mais ils sont encore, si j’en crois mes yeux, à bonne distance. Ici, nous nous trouvons dans un lieu consacré. On ne peut s’y tromper : il aborde en lauriers, en oliviers, en vignes, et, sous ce feuillage, un monde ailé de rossignol fait entendre fruste. Tu as fait une étape longue pour un vieillard. » (Sophocle, tragédies complètes, Œdipe à Colone, folio classique, p. 351).

Œdipe et Antigone arrive à Colonne dans les environs d’Athènes. A Colonne, se trouve un temple dédié aux Euménides. Les Euménides, c’est l’autre nom des Érinyes.

« La réflexion leur faisait voir la veille tare de leur race et à quel point elle pèse sur ta malheureuse maison. Mais aujourd’hui, du fait d’un dieu et d’une pensée criminelle, c’est une dispute coupable dont l’idée entre soudain dans le cœur de tes trois fois malheureux fils : ils veulent tous deux se saisir du sceptre et du pouvoir royal ! Et voici que le cadet, celui à qui l’âge donne le moins de droits, enlève le trône à Polynice son aîné et le chasse de sa patrie. » (Sophocle, tragédies complètes, Œdipe à Colone, folio classique, p. 363).

Les deux fils d’Œdipe se disputent la couronne de Thèbes.

« Œdipe : Tu as donc l’espoir aujourd’hui que les dieux s’intéressent à moi jusqu’à vouloir mon salut ?

Ismène : Oui, père, j’en crois les nouveaux oracles.

Œdipe : Quels sont donc ces oracles ? que disent-ils, ma fille ?

Ismène : Qu’un jour viendra où les gens de là-bas te chercheront partout, vivant ou mort, pour leur propre salut.

Œdipe : Et quel profit pourrait-on bien attendre d’un homme tel que tu me vois ici ?

Ismène : Ils disent que de toi dépend tout leur succès. (…) Ils veulent t’établir près du sol cadméen, pour disposer de toi, sans que pourtant tu mettes, toi, le pied sur leur terre. (…) Et c’est bien là, pourquoi ils entendent te mettre près de leur frontière ; il ne faut pas que tu restes en un lieu où tu sois en mesure de disposer de toi. » (Sophocle, tragédies complètes, Œdipe à Colone, folio classique, p. 364-365).

Une sentence de la Pythie de Delphes donne un rôle important à Œdipe, dans le choix du futur souverain de Thèbes. Il devra choisir le futur vainqueur entre ses deux fils.

Œdipe reçoit la visite de l’un de ses fils, Polynice. Il veut convaincre son père de s’allier à lui pour renverser son autre fils qui occupe le trône de Thèbes.

« Polynice : Tu vois en moi un exilé, banni du pays paternel, parce qu’il prétendait, étant le plus âgé, prendre place à son tour sur ton trône tout-puissant. Et c’est justement pourquoi Etéocle, mon cadet, m’a jeté hors de ma patrie, non pas qu’il m’eût d’abord vaincu par des raisons, ni qu’il eût, à l’épreuve, montré force et prouesse, mais parce qu’il avait su séduire sa cité. De tout cela je vois la cause avant tout dans ton Erinyès, et j’entends aussi des oracles s’exprimer dans le même sens. A peine arrivé dans Argos dorienne, j’ai pris Adraste pour beau-père, et j’ai autour de moi, sous la foi du serment, groupé tous ceux qui au pays d’Apis sont appelés les premiers des guerriers et sont honorés comme tels. Assemblant avec eux contre Thèbes une armée de sept corps, j’étais prêt ou à mourir, à en finir, ou à expulser du pays ceux qui m’avaient traité de pareille façon. Et maintenant pourquoi suis-je venu ici ? Pour t’apporter, ô père, une requête suppliante, en mon nom comme au nom de tous mes alliés, qui, à cette heure même, avec leurs sept colonnes, leurs sept lances au poing, assiègent la plaine entière de Thèbes. (…) S’il faut en effet prêter foi aux oracles, la victoire sera, disent-ils, pour le parti que tu auras rejoint. (…) Ah ! celui-là, assiste-moi dans mon dessein, et en un instant, en un tournemain, je disperse sa cendre aux vents. Et alors je te conduis, je t’installe dans ta demeure, et je m’y installe avec toi, sitôt que je l’aurai, lui, jeté dehors. » (Sophocle, tragédies complètes, Œdipe à Colone, folio classique, p. 395-396)

Œdipe va refuser d’aider son fils aîné à reconquérir le trône. Œdipe meurt de manière miraculeuse. Le lieu de sa mort, à Colonne, constituera une bénédiction pour Athènes. Il y a une transmission du pouvoir divin de Thèbes à Athènes.

C : « Antigone » de Sophocle.

Créon est devenu roi de Thèbes. Les deux fils d’Œdipe sont morts. Les deux sœurs restées vivantes, Ismène et Antigone, vont tenter d’enterrer leurs deux frères.

« Antigone : Tu es mon sang, ma sœur, Ismène, ma chérie. Tu sais tous les malheurs qu’Œdipe a légués aux siens. Mais en sais-tu un seul que Zeus ne tienne pas à consommer ici de notre vivant même ? Il n’est pas de chagrin – voire de désastre – il n’est pas de honte, il n’est pas d’affront que je ne voie ainsi porté à notre compte, à nous deux, toi et moi. Aujourd’hui même, qu’est-ce encore que cette défense que le chef a tout à l’heure proclamée au pays en armes ? En sais-tu quelque chose ? en as-tu perçu un écho ? Ou vraiment ignores-tu que le malheur est en marche, et que ceux qui nous haïssent visent ceux que nous aimons ?

Ismène : Mais non ! de ceux que nous aimons je n’ai, moi, rien entendu dire, Antigone, rien qui apaise ni avive ma peine, depuis l’heure où, toutes deux, nous avons perdu nos frères, morts en un seul jour sous un double coup. L’armée d’Argos est partie cette nuit ; je ne sais rien de plus, et rien n’est venu ajouter pour moi ni à ce succès ni à ce désastre.

Antigone : J’en étais sûre, et c’est bien pourquoi je t’ai emmenée au-delà des portes de cette maison : tu dois être seule à m’entendre.

Ismène : De quoi s’agit-il donc ? Quelque propos te tourmente, c’est clair.

Antigone : Certes ! juges-en. Créon, pour leurs funérailles, distingue entre nos deux frères : à l’un il accorde l’honneur d’une tombe, à l’autre il inflige l’affront d’un refus ! Pour Etéocle, me dit-on, il juge bon de le traiter suivant l’équité et le rite, et il l’a fait ensevelir d’une manière qui lui vaille le respect des ombres sous terre. Mais, pour l’autre, Polynice, le pauvre mort, défense est faite, paraît-il, aux citoyens de donner à son cadavre ni tombeau ni lamentation : on le laissera là, sans larmes ni sépulture, proie magnifique offerte aux oiseaux affamés en quête d’un gibier ! Et voilà, m’assure-t-on, ce que le noble Créon nous aurait ainsi défendu, à toi et à moi – à moi ! Il viendrait même en personne proclamer ici expressément sa défense, pour ceux qui l’ignore encore. Ah ! c’est qu’il ne prend pas la chose à la légère : au rebelle il promet la mort, la lapidation sur notre acropole ! » (Sophocle, tragédies complètes, Antigone, folio classique, p. 85-86)

Antigone désobéit à Créon et enterre son frère. Le Roi apprend la chose et convoque Antigone devant lui.

« Créon : Et toi, maintenant, réponds-moi, sans phrases, d’un mot. Connais-tu la défense que j’avais fait proclamer ?

Antigone : Oui, je la connais ; pouvai-je l’ignorer ? Elle était des plus claires.

Créon : Ainsi tu as osé passer outre à ma loi ?

Antigone : Oui, car ce n’est pas Zeus qui l’avait proclamée ! ce n’est pas la Justice, assise aux côtés des dieux infernaux ; non, ce ne sont pas là les lois qu’ils ont jamais fixées aux hommes, et je ne pensais pas que tes défenses à toi fussent assez puissantes pour permettre à un mortel de passer outre à d’autres lois, aux lois non écrites, inébranlables, des dieux ! Elles ne datent, celles-là, ni d’aujourd’hui ni d’hier, et nul ne sait le jour où elles ont paru. Ces lois-là pouvais-je donc, par crainte de qui que ce fût, m’exposer à leur vengeance chez les dieux ?  » (Sophocle, tragédies complètes, Antigone, folio classique, p. 99-100)

Antigone justifie son acte d’une manière étonnante. Un débat politique va s’engager entre Créon et Antigone sur la nature du droit et sur le droit à la désobéissance. Un débat qui deviendra par la suite un classique de l’histoire des idées politiques.

Deux argumentaires vont s’opposer :

Pour Antigone, il existe des lois supérieures à celles des hommes. Ce sont les lois des dieux. Si les lois des hommes viennent contredire les lois des dieux, les citoyens sont autorisés à désobéir.

« Créon : Si je dois tolérer le désordre dans ma maison, chez ceux même que je nourris, que sera-ce alors au-dehors ? L’homme qui se comporte comme il le doit avec les siens se montrera également l’homme qu’il faut dans la cité. Si quelque criminel fait violence aux lois ou se met en tête de donner des ordres à ses chefs, il n’aura jamais mon aveu. C’est celui que la ville a placé à sa tête à qui l’on doit obéissance, et dans les plus petites choses, et dans ce qui est juste, dans ce qui ne l’est pas. (…) Il n’est pas, en revanche, félau pire que l’anarchie. C’est elle qui perd les Etats, qui détruit les maisons, qui, au jour du combat, rompt le front des alliés et provoque les déroutes ; tandis que, chez les vainqueurs, qui donc sauve les vies en masse ? la discipline. Voilà pourquoi il convient de soutenir les mesures qui sont prises en vue de l’ordre, et de ne céder jamais à une femme, à aucun prix. Mieux vaut, si c’est nécessaire, succomber sous le bras d’un homme, de façon qu’on ne dise pas que nous sommes aux ordres des femmes  » (Sophocle, tragédies complètes, Antigone, folio classique, p. 107-108)

Pour Créon, le roi, dirige la cité, il fixe les règles pour permettre à la société de vivre en harmonie. Désobéir aux lois du roi, c’est risquer de créer l’anarchie dans la société.

« Œdipe : N’importe ! Obéis à ton roi.

Créon : Pas à un mauvais roi.

Œdipe : Thèbes ! Thèbes !

Créon : Thèbes est à moi autant qu’a toi. » (Sophocle, tragédies complètes, Œdipe-roi, folio classique, p. 206).

L’argumentaire de Créon a de quoi surprendre, car lorsqu’il était dans la situation inverse, il refusé d’obéir aux lois d’Œdipe.

La pièce donne lieu à de très intéressants développements politiques sur le pouvoir et la manière de le gérer, dont voici quelques exemples.

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