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La géographie sacrée 3 : les axes du monde en Mésopotamie.

Dans le deuxième article de la série, nous avons vu la notion de centre. C’est à partir de ce centre que va se projeter deux axes, l’un du Nord au Sud et l’autre de l’Est vers l’Ouest. Avec le centre, nous retrouvons notre système à cinq royaumes que nous avions entraperçus dans le premier article.

Dans ce troisième article, nous allons aborder la question des axes du monde à travers la civilisation sumérienne.

Dans la carte du monde retrouvé à Nippur, nous retrouvons une vision de l’univers telle que la concevaient les Sumériens. Un document fascinant sur lequel j’ai consacré de nombreuses heures de réflexions s’étalant sur plusieurs années.

Carte du monde sumérienne.

C’est ce document qui m’a permis de comprendre les grands principes de la géographie sacrée. Presque tous les éléments les plus importants s’y trouvent indiqué. Ils seront repris en Grèce et dans le Judaïsme. Nous y retrouvons la notion de centre et les deux axes du monde (I) ainsi que la porte du ciel et de l’enfer (II).

I. Les deux axes du monde en Mésopotamie.

La terre, que les sumériens appelaient “ki”, était un disque plat qui flottait au milieu de l’eau douce. L’eau douce se disait “abzu” en Sumérien ou “apsû” en Akkadien.

La terre ferme était entourée d’un “grand océan” d’eau salée, qui portait le nom de “marratu“. Le grand océan était bordé d’un anneau de montagnes pour l’empêcher de tomber dans le néant. Il est important de ne pas confondre, la “mer primordiale“, eau douce avec le “grand océan“. La “mer primordiale” est une mer invisible alors que le “grand océan” est visible.

La vision du monde des sumériens.

Cette vision du monde apparaît sur la carte du monde sumérienne. Datant VIe siècle avant Jésus-Christ, elle est partiellement détruite. Elle fut découverte à Sippar à la fin du XIXe siècle par l’archéologue Hormuzd Rassam. Elle est actuellement exposée au British Muséum de Londres. Il s’agit très probablement d’une copie d’une tablette plus ancienne du IXe siècle de Borsippa, comme l’indique un passage au dos de la tablette.

Attention, je vous vois venir avec vos gros sabots de “platiste”. Pour les sumériens, si la surface terrestre était plate, il voyait le monde comme une sphère qui flottait au milieu d’une “Mer primordiale“. La terre est donc sphérique et non plate. C’est seulement la vision du sol à hauteur d’homme qui donne l’impression que la terre est plate. La même question se posera pour la vision chrétienne.

Voici une représentation de la “mappa mundi” où le texte en akkadien et les symboles sont remplacés par des numéros afin de faciliter la compréhension de l’analyse. Dans la suite de l’exposé, les éléments qui renverront aux endroits de la carte seront indiqués par le numéro entre parenthèses.

Autre exemple, nous retrouvons dans la Genèse la description du Jardin d’Eden qui semble devoir s’inspirer de la “mappa mundi“.

Puis Yahvé Dieu planta un jardin en Eden du côté de l’Orient, et il y mit l’homme qu’il avait formé. Et Yahvé Dieu fit pousser du sol toute espèce d’arbres agréables à voir et bons à manger, et l’arbre de la vie au milieu du jardin, et l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Un fleuve sortait d’Eden pour arroser le jardin, et de là il se partageait en quatre bras. Le nom du premier est Phison ; c’est celui qui entoure tout le pays d’Hévilath, où se trouve l’or. Et l’or de ce pays est bon ; là aussi se trouvent le bdellium et la pierre d’onyx. Le nom du second fleuve est Géhon ; c’est celui qui entoure toute la terre de Cousch. Le nom du troisième est le Tigre ; c’est celui qui coule à l’orient d’Assur. Le quatrième fleuve est l’Euphrate.” (Genèse, II : 8-14).

Le Jardin d’Eden se situerait sur les rives du Chatt-el-Arab, là où à l’époque sumérienne, quatre fleuves se jetaient dans le Golfe Persique.

Un fleuve sortait de l’Eden (tiré du sumérien, “edin“, “plaine“, “campagne“) et se divisait en quatre bras : le Phison, le Géhon, le Tigre et l’Euphrate. Au centre le Jardin d’Eden.

J’ai déjà abordé le thème du Jardin d’Eden selon la géographie sacrée dans mon livre sur le prophète Daniel. Je reprenais à mon compte les travaux de Pascal Buterlin dans son livre sur “l’histoire de la Mésopotamie“. Toutefois, l’auteur commet une erreur, en inversant la position du Gihon et du Pison sur la carte. Dans la suite de l’article, je vais donc modifier ce que j’ai pu écrire dans mes précédents travaux.

Concernant la “mappa mundi” babylonienne, le centre de la carte se trouve au milieu de la croix. Il s’agit de Babylone. Babylone est représenté par un point et le nom de la cité est indiqué en akkadien “tin-tirki” (13).

La barre horizontale, c’est l’Euphrate comme l’indique le texte (13). Il est également dit que la ville est divisée par l’Euphrate ce qui semble devoir faire référence à la séparation entre l’Euphrate et le Tigre au-delà de Babylone. Le nom du fleuve “Tigre” n’est pas indiqué sur la carte.

L’autre barre est verticale. Aucun nom n’est indiqué. Vers le haut, elle se dirige vers une Montagne (1). Vers le bas, elle se dirige vers la ville de Suse (8).

Nous pouvons supposer, en lien avec la lecture que nous avons fait de la Genèse concernant le jardin d’Eden (A) qu’il s’agit d’un côté du fleuve Phison et de l’autre du fleuve Géhon comme les deux axes du monde. Dans le cadre de la “mappa mundi” (B), le point central à changé. C’est devenu “Babylone”, mais l’idée est la même en ce qui concerne les grands principes de la géographie sacrée.

A. Le Jardin d’Eden.

Pour parler du Jardin d’Eden comme élément biblique de la géographie sacrée, il faut évoquer longuement de la célèbre mosaïque des quatre fleuves de la chapelle épiscopale Saint-Nicolas de Die en Auvergne. Un extraordinaire document visuel, équivalent, par son importance, avec la “mappa mundi” sumérienne. Nous connaissions Die pour sa délicieuse Clairette, maintenant, il y aura la mosaïque des Quatre fleuves du Paradis.

La chapelle épiscopale Saint-Nicolas de Die

La mosaïque date du XIIe siècle, elle représente l’univers selon les Chrétiens. La fresque occupe toute la surface du sol de la chapelle, de six mètres sur cinq. La fresque posée sur le sol est probablement plus ancienne, car elle semble constituer de morceau de marbres antique récupéré sur un autre site inconnu.

Le médaillon central correspond au centre du monde. C’est un cercle, alors que le monde est carré. Au centre, il y a une étoile à huit branches avec douze points correspondant aux douze signes du zodiaque.

Autour du cercle, est écrit le nom des quatre fleuves (Euphrate, Tigre, Fison et Géon) qui s’oppose en axe. Un axe Nord-Sud (1) et un axe Est-Ouest (2).

1. L’axe Nord-Sud.

Au Nord, il y a le Tigre (a) et au Sud l’Euphrate (b)..

a. Le Tigre (Nord).

Dans la description biblique du Paradis, le troisième fleuve porte le nom de Tigre. Il précise qu’il coule à l’Orient d’Assur. Assur était la capitale de l’Assyrie. Elle était située sur les rives du Tigre, à une centaine de kilomètres de l’actuel Mossoul. Le Tigre portait le nom d’Idigna en sumérien et d’Idiqlat en akkadien, ce qui signifiait “eau courante“, il devient tigris (tigre) en grec. Le Tigre rejoint l’Euphrate en formant son principal affluent.

Le Tigre dans la mosaïque de la chapelle Saint Nicolas de Die.

Le Tigre est associé à l’élément Eau. On y retrouve un poisson et une écrevisse. L’écrevisse, c’est le signe du Cancer comme je l’ai montré dans mon livre “les ères astrologiques“.

Le fleuve se termine par un cercle installé dans l’un des coins du grand carré. C’est sans doute une ville qui est censée canaliser l’énergie qui part du centre vers ce point. Un grand classique de la géographie sacré, comme nous le verrons.

b. L’Euphrate (Sud).

L’Euphrate est le quatrième fleuve et ne comporte aucune précision géographique contrairement aux trois autres. En akkadien, il s’appelait Perat.

C’est le fleuve principal duquel vient se joindre les trois autres. La Bible dit bien que depuis l’Eden, un fleuve prendre sa source et se divise en quatre branches. Or, la configuration géographique du Chatt-el-Arab est exactement l’inverse, quatre fleuves qui se rejoignent pour former un fleuve avant de se jeter dans la mer.

Chatt-el-arab aujourd’hui.

Dans la mosaïque de Die, l’Euphrate est associé à l’élément Air. En effet, on y retrouve des oiseaux et autres animaux volants. De même, astrologiquement, c’est une symbolique du Verseau qui est mis en œuvre (griffons et sirène). Là aussi, je vous renvoie à la lecture de mon livre sur “les ères astrologiques” et en particulier sur l’ère du Verseau, pour comprendre le lien entre le griffon, la sirène et le signe astrologique du Verseau. Le Verseau étant un signe d’Air.

Le Tigre dans la mosaïque de la chapelle Saint Nicolas de Die.

L’Euphrate se termine par un point, qui indique la ville ou le lieu qui concentre l’énergie de la direction.

2. L’axe Est-Ouest.

Dans cet axe, nous avons à l’Est, le Phison (a) et à l’Ouest avec le Géhon (b).

a. Le Phison (Est).

Le premier fleuve cité dans la description du Jardin d’Eden, est le Phison qui entourerait le pays d’Hévilath, selon la Genèse. Dans cette région, se trouverait de l’or, du bdellium et de l’onyx. Ses noms géographiques sont aujourd’hui inconnus. Nous sommes réduits à l’état d’hypothèse.

Le Phison serait le fleuve Karun qui prend sa source en Perse dans les montagnes de Zagros pour ensuite se diriger vers le Tigre et l’Euphrate. Une partie de leurs cours est commun, jusqu’à la mer.

Durant l’Antiquité et le Moyen-âge, le Phison s’appelait le Pasitigris. C’est le nom que lui donne par exemple Strabon dans sa géographie.

D’autres prétendent que toutes les rivières de la Suside se réunissent avec le Tigre en un seul courant, juste à la hauteur des canaux intermédiaires dérivés de l’Euphrate dans le Tigre, et que c’est pour cette raison que le cours inférieur du Tigre a reçu le nom de Pasitigris.” (Strabon, Géographie, XV, 3 : 4)

Le Pasitigris travers la région de Suse. C’est un affluent du Tigre et de l’Euphrate.

Néarque, qui a rangé toute cette côte de la Suside, la représente comme semée partout de bas-fonds, et la termine au cours de l’Euphrate. «Là, dit-il, tout près de l’embouchure, se trouve un gros bourg qui sert d’entrepôt aux marchandises venant d’Arabie, car de l’autre côté de l’embouchure de l’Euphrate et du Pasitigris c’est la côte de l’Arabie qui fait suite immédiatement. Quant à l’intervalle des deux embouchures, il est tout entier couvert par un lac ou étang dans lequel se déverse le Tigre. En remontant le cours du Pasitigris l’espace de 150 stades, on atteint le pont de bateaux qui de la Perse mène à Suse, mais qui débouche encore à 60[0] 4 stades de cette ville». Néarque ajoute qu’il y a une distance de 2000 stades environ de l’embouchure du Pasitigris à celle de l’Oroatis ; – qu’en traversant le lac et en remontant jusqu’à l’endroit [de sa rive supérieure] où débouche le Tigre on a à franchir une distance de 600 stades, et que tout à côté de ce débouché du Tigre il y a un bourg [dit Aginis], dépendant de la Suside et distant de Suse de 500 stades ; – qu’en remontant d’autre part le cours de l’Euphrate depuis son embouchure jusqu’à Babylone on traverse, sur une étendue de plus de 3000 stades, un pays riche et bien cultivé. Au dire d’Onésicrite maintenant, tous ces fleuves, et l’Euphrate aussi bien que le Tigre, déboucheraient dans le lac, mais l’Euphrate en ressortirait et irait se jeter dans la mer par une embouchure distincte.” (Strabon, Géographie, XV, 3 : 5).

Dans la “mappa mundi” d’Albi, datant du VIIIe après-jésus-Christ, le Phison est indiqué. Cela prouve qu’à cette époque, il était suffisamment connu pour être indiqué sur la carte géographique. Alors qu’aujourd’hui, il a totalement disparu des mémoires.

Mappa mundi d’Albi.

Le “Phison” est indiqué à côté du “Tigris” (le Tigre). Les deux fleuves sont parallèles, dans une direction opposée au royaume des Mèdes. C’est exactement la situation géographique du Tigre et du Pasitrigris. D’ailleurs, les deux noms sont très proches, ce qui montre une proximité géographique.

Dans l’Ancien testament, il est question de l’or, de bdelium et de l’onyx. La Pasitigris prend sa source dans le mont Zagros, en Perse. Havilah correspondrait à la Colchide, au-dessus de Zagros, la terre où se trouvait la Toison d’or. Le bdelium était une résine qui était produite en Inde, qui se trouvait au-delà de la Perse antique. Les commerçants de Colchide ou d’Inde devaient traverser la Perse, donc le mont Zagros, pour vendre leurs biens en Mésopotamie.

Dans la mosaïque de Die, le Phison semble devoir être associé à l’élément Terre. Le fleuve est entouré de fleurs et de feuilles d’arbres qui pourraient être associées au signe astrologique de la Vierge (signe de Terre) dont nous savons que dans sa représentation sumérienne, elle était “la vierge à l’épi”, un signe nourricier.

De même, le fleuve se dirige vers un visage qui mange ce qui pourrait être deux morceaux de viande ou de poisson, pris ici comme symbole de la terre nourricière.

b. Le Géhon (Ouest).

Le deuxième fleuve cité dans la Bible est le Géhon qui entourerait la terre de Koush. Il signifie en hébreu “impétueux” ou en Sumérien “les grands ancêtres” ou “les magnifiques anciens“.

Le pays de Koush, sous l’antiquité, c’était l’Ethiopie. Le Géhon aurait été le Nil qui coulait en direction de l’Ethiopie. En raison de son éloignement, de la Mésopotamie, il est peu probable que Géhon concerne le Nil et l’Ethiopie.

Nous devons rechercher ailleurs.

Le Géhon serait une rivière aujourd’hui asséchée, le Batin, qui se jettait dans le Chatt-el-Arab, en rejoignant l’Euphrate comme affluant. A notre époque, ne subsisterait qu’un point d’eau dans l’oued de Batin (en arabe, Hafar Al-Batin). Le lieu est situé à quelques dizaines de kilomètre du Chatt-el-Arab. “batin” signifie en arabe “le trou de la vallé“.

Le fleuve prenait également le nom de Rummah et continuait jusqu’à Médine. Médine est aux portes de l’Ethiopie. L’allusion au pays de Koush prend donc tous son sens.

Le Géhon coulait, il y a 10 000 ans, de Médine jusqu’au Golf Persique. Nous retrouvons sa trace sur certaines cartes géographiques anciennes. Par exemple sur la carte de l’Arabie de Christoph Weigel de 1720.

Arabia FelixArabia Petræa et Arabia Deserta (par Christoph Weigel l’Ancien1720).

Désormais, le fleuve est asséché, mais la géologie des lieux en garde la trace. Le Géhon subsiste dans quelques oued, dont celui de al-Batin qui parsème la vallée sur le trajet de l’ancien cours d’eau. D’ailleurs, lors de mes recherches, j’ai découvert que curieusement, le fleuve reprend vie, temporairement, deux ou trois fois par siècle. Un miracle qui va si bien a l’un des anciens fleuves qui alimenta le Jardin d’Eden.

Oui, oui, vous ne rêvez pas.

Je n’ai pas perdu la boulle.

Comme il y a des intermittents du spectacle, il y a des fleuves intermittents. La chaleur de la région a asséché le cours d’eau. Parfois, lorsque la pluie est suffisante, sa source peut produire assez d’eau pour permettre au fleuve de renaître. Cela s’est produit en 1945, en 1982, en 1987, en 2004, en 2008 et en 2018. Il existe des vidéos qui circulent sur youtube. Le phénomène est assez extraordinaire pour être noté.

Dans la mosaïque des quatre fleuves, le Géhon est représenté par un cours d’eau qui sort de la bouche d’une tête humaine en direction d’un coin du carré qui représente un autre visage qui crache du feu (ou de l’air). D’un côté du fleuve, il y a de l’eau et un poisson, de l’autre des plantes et des feuilles. Nous sommes en présence de l’élément Feu (le seul qui n’a pas été attribué).

Reprenons une vue globale de la mosaïque de Die afin de synthétiser ce que nous venons de voir.

B. La “mappa mundi” sumérienne.

Venons-en désormais à la “mappa mundi” sumérienne que nous allons étudier dans le détails. C’est une témoignage aussi important que la mosaïque de Die. Elle comporte de nombreuses informations sur la géographie sacrée. Nous avons un axe Nord-Sud (1) et un axe Est-Ouest (2).

1. L’axe Nord-Sud.

Au Sud, il y a Habban (a) alors que le Nord, se dirige vers Urartu (b).

a. Habban (Sud).

La carte du monde mésopotamienne indique Habban comme point d’arrivée (12). Il existe une région qui porte le nom d’Habban au Yémen.

Elle se trouvait dans une région que l’on appelait l’Arabie heureuse (“arabia felix“). Elle correspondait à l’actuel Arabie Saoudite et au Yémen.

Pline l’ancien dans son “Histoire naturelle” évoque l’Arabie heureuse :

” Au delà de la bouche Pélusiaque est l’Arabie, contiguë à la mer Rouge et à cette Arabie fertile en parfums, opulente, et célèbre par son surnom d’heureuse. Celle dont il est question ici porte le nom des Arabes Catabanes, Esbonites, Scénites (VI, 30 et 32): elle est stérile, excepté aux abords de la Syrie; et le mont Casius seul y a quelque renom. Cette région tient du côté du levant aux Arabes Canchléens, du côté du midi aux Arabes Cédréens.” (Pline l’Ancien, Histoire naturelle, Livre V : chapitre XII)

Elle porte le nom d’Arabie heureuse car entouré de désert, elle regorge cependant de richesse et de mystère. Elle paraît “heureuse”, alors que le reste est “désespoir”. Lieu mythique, l ‘Arabie heureuse était censé être peuplé de créatures imaginaires et fabuleuses. A ce sujet, il faut lire les descriptions des animaux de l’Arabie heureuse, que fait Strabon dans son livre XVI des “géographiques“.

Les Chélonophages profitent des dimensions énormes des chéloniens ou tortues de ces parages et avec leurs écailles se font des abris, voire même des embarcations. (…) Parmi les îles qui bordent leur côte on distingue l’île des Tortues, l’île des Phoques et l’île des Eperviers, rangées toutes trois à la suite les unes des autres. (…) Sur la côte même, en deçà du promontoire de Pytholaüs, il y a deux immenses lacs, l’un d’eau saumâtre auquel on donne le nom de tuer, l’autre d’eau douce qui nourrit force hippopotames et force crocodiles, et sur les bords duquel le papyrus croît en abondance. On rencontre aussi beaucoup d’ibis dans tout ce canton. (…) Suit la région de l’encens, dite libanôtophore, dont le seuil est marqué par une pointe avancée que couronne un temple entouré d’une plantation de peupliers. Puis, à la même hauteur, dans l’intérieur des terres, courent l’Isidopotamie et une autre vallée (celle du Nil), couvertes l’une et l’autre de ces précieux arbustes qui donnent la myrrhe et l’encens. On y signale également la présence d’un grand réservoir qu’alimentent les eaux qui descendent des montagnes. Sur la côte, maintenant, on voit se succéder Léontoscopé, Pythangelû-limên, un canton qui, [outre la myrrhe et l’encens], produit aussi beaucoup de fausse casse, puis, jusqu’au seuil de la Cinnamômophore, différentes vallées qui sont bordées d’arbres à encens dans toute leur longueur et qui portent les noms de leurs fleuves respectifs. Le fleuve qui marque la limite de la cinnamômophore offre cette particularité que le phleils croît sur ses bords en très grande quantité. Un autre fleuve fait suite à celui-là ; puis viennent le port Daphnûs et l’Apollonopotamie, qui produit, non seulement de l’encens, mais aussi de la myrrhe et du cinnamôme.

(…)

Tout le pays est plein d’éléphants et de fourmis-lions, animaux singuliers qui ont les testicules renversés, la couleur fauve de l’or et le poil tout à fait ras. Ceux de l’Arabie ne l’ont pas au même degré. Le pays nourrit aussi des léopards d’une force prodigieuse et des rhinocéros. Il n’est pas exact de dire, comme le fait Artémidore, un peu bien légèrement pour un homme qui affirme ne parler que d’après ce qu’il a vu lui-même à Alexandrie, que la longueur du corps des rhinocéros diffère à peine de celle des éléphants ; et, à en juger du moins par l’individu que nous avons vu, nous, il y a entre les rhinocéros et les éléphants sous ce rapport à peu près la même différence que sous le rapport de la taille. Il n’est pas exact non plus de dire que la couleur de leur peau soit celle du buis, elle rappelle beaucoup plus celle de la peau de l’éléphant. De même taille que le taureau, les rhinocéros ressemblent beaucoup extérieurement, par la forme de leur museau surtout, au sanglier, si ce n’est qu’ils ont sur le nez une corne courte et comme aplatie, mais plus dure que pas un os, qui leur sert d’arme et leur rend les mêmes services qu’aux sangliers leurs défenses. Ils ont en outre deux gros plis, partant l’un de la nuque, et l’autre de la région lombaire, qui les enveloppent depuis l’échine jusque sous le ventre, comme pourraient le faire les orbes ou anneaux d’un serpent. C’est toujours d’après l’individu vivant que nous avons vu que nous donnons ces détails. Mais Artémidore ajoute quelques renseignements intéressants, celui-ci par exemple qui est caractéristique, que le rhinocéros est perpétuellement en guerre avec l’éléphant à qui il dispute ses pâturages, et que sa manoeuvre pour le combattre consiste à glisser son museau sous le ventre de l’éléphant et à le lui labourer avec sa corne, à moins que de sa trompe et de sa double défense l’éléphant ne le prévienne.

Le même pays nourrit aussi beaucoup de girafes ou de camélopards, qui, en dépit de leur nom, n’ont aucun point de ressemblance avec le léopard ; le bariolage de leur robe, en effet, qui se trouve être à la fois rayée, tachetée, mouchetée, rappelle plutôt le pelage du daim. Ajoutons que le camélopard a la partie postérieure beaucoup plus basse que la partie antérieure, si bien qu’à voir ce train de derrière qui n’excède pas la taille d’un boeuf et ces jambes de devant, aussi longues pour le moins que celles du chameau, on croirait l’animal toujours assis ; mais, comme son cou en revanche est très droit et très élevé, sa tête dépasse de beaucoup celle du chameau. J’ajouterai que ce défaut de proportion entre les différentes parties de son corps m’empêche de croire que le camélopard soit doué d’une vitesse aussi grande que le dit Artémidore, qui le représente comme supérieur sous ce rapport à tous les animaux connus. On ne saurait le ranger non plus au nombre des animaux sauvages mais bien plutôt au nombre des animaux domestiques, tant il se montre peu farouche. Artémidore signale encore la présence dans le pays de sphinx, de cynocéphales et de cèbes, animaux étranges, qui passent pour avoir la face d’un lion, le corps d’une panthère et la taille d’un daim. Il s’y trouve aussi, paraît-il, des taureaux sauvages, des taureaux carnivores, qui surpassent singulièrement en force et en vitesse les taureaux de nos pays, et qui sont de couleur rousse. Quant au crocutta, Artémidore en parle comme d’un animal hybride, produit de l’accouplement d’un loup et d’une chienne. Métrodore de Scepsis parle du même animal dans son traité de l’Ilabitude, mais tout ce qu’il en dit paraît fabuleux et ne mérite pas qu’on s’y arrête. Il y aurait enfin, si l’on en croit Artémidore, dans ce même pays, des serpents longs de 30 coudées et assez forts pour pouvoir étouffer éléphants et taureaux ; or c’est là une assertion relativement modérée, et les serpents de l’Inde et de la Libye, ces serpents sur le dos desquels on voit soi-disant l’herbe pousser, sont bien autrement fabuleux.” (Strabon, Géographiques, Livre XVI, 14-16)

Dans la région, se trouve la ville d’Aden, qui fut nommé ainsi en référence au Jardin d’Eden. Aden vient de l’akkadien “edinnu” qui signifie “plaine“. C’est la même étymologie que pour le Jardin d’Eden. On pensait alors que le paradis se trouvait dans l’Arabie heureuse. Il suffit de lire la description exceptionnelle de Strabon pour le comprendre. Aden existait du temps de Sumer et d’Akkad, ce que semble prouver son étymologie.

Aden se trouve d’ailleurs dans un lieu assez proche de Habban. Ce qui est étonnant, car je n’ai pas trouvé d’élément historique afin de savoir si Habban existait à l’époque de Babylone. Eden a la même racine qu’Eden.

Aden portait également le nom d'”Eudaemon” à l’époque grecque. Ce qui signifiait “heureux” en grec ancien.

Quoi qu’il en soit, si l’on continue une ligne qui par de Tushpa en passant par Babylone, on arrive au Yémen à Aden et à Habban moderne. Une étonnante coïncidence qui montre que celui qui a fabriqué la “carte du monde” connaissait Habban et l’indiquait comme point le plus au sud de Babylone.

b. Urartu (Nord).

La “mappa mundi” indique la présence d’une ville dont le nom n’est pas précisé (2). On devine que c’est Ninive.

Est également indiqué le royaume d’Urartu (3) dont la capitale était Tushpa.

Tushpa est dans le prolongement de Ninive en prenant pour point de départ Babylone.

Tushpa est une cité typique de la civilisation d’Urartu. C’est une forteresse de type cyclopéenne construite au sommet d’une montagne.

On retrouve plusieurs forteresses de ce type dans le royaume d’Urartu comme le note le géographe Strabon.

En fait de villes, les deux principales que possède l’Arménie sont Artaxate, qu’on nomme aussi quelquefois Artaxiasate, parce qu’elle fut fondée par Annibal pour le roi Artaxias et Arxate, située comme l’autre sur l’Araxe, mais près de la frontière de l’Atropatène, tandis qu’Artaxate, grande et belle cité qui sert de résidence ordinaire aux rois d’Arménie, s’élève à l’entrée de la plaine Araxène. Elle a été bâtie là dans une espèce de presqu’île formée par un coude du fleuve, qui baigne par conséquent ses murs de trois côtés pendant que le quatrième côté figurant l’isthme de la presqu’île est fermé par un fossé et un mur ou retranchement, sans compter qu’à peu de distance de la ville se trouvent les châteaux forts de Babyrsa et d’Olané, dont Tigrane et Ariavasde avaient fait leurs trésors. [Ces forteresses, du reste, n’étaient pas les seules que possédât l’Arménie.] Il y en avait d’autres encore sur les bords de l’Euphrate, Artagira notamment ; mais celle-ci entraînée par Adoua son gouverneur essaya de se soustraire à l’autorité romaine, et, après un long siège, les légats de César s’en emparèrent et rasèrent ses murs.” (Strabon, géographies, XI : 14, 6).

Ils utilisaient une écriture cunéiforme comme en Mésopotamie. Les inscriptions parvenues jusqu’à nous correspondent à de l’akkadien dans sa variante assyrienne. Cela montre le lien entre Sumer, la Mésopotamie et Urartu.

Tushpa se trouvait sur les rives du lac de Van, appelé lace Arséné (en latin) ou lac de Thopitis (en grècque).

Le pays contient aussi de grands lacs. Il y en a un, entre autres, appelé le lac Matiané (comme qui dirait le lac Cyané ou le lac Bleu), qui passe pour être, après le Palus Maeotis, le plus grand des lacs salés et qui s’étend jusqu’à la Médie Atropatène en formant sur ses bords d’importantes salines naturelles. Il y a encore le lac Arséné, ou, comme on l’appelle quelquefois, le lac Thopitis ; mais les eaux de ce lac sont chargées de nitre, et la même raison qui fait qu’elles sont excellentes pour enlever les taches et blanchir le linge fait qu’elles ne sont pas bonnes à boire. Le Tigre, à sa descente du mont Niphatès, traverse le lac Arséné, sans se mêler toutefois à ses eaux, grâce à l’extrême rapidité de son propre courant, circonstance à laquelle il doit son nom, car le mot tigris, dans la langue des Mèdes, équivaut à notre mot toxeuma et exprime l’action de bander l’arc et de lancer la flèche. Ajoutons que les eaux du Tigre nourrissent une grande variété de poissons, tandis que celles du lac n’en contiennent que d’une seule et même espèce. Parvenu à l’autre bout du lac, le Tigre se perd dans une espèce de gouffre, mais, après avoir coulé longtemps sous terre, il reparaît à l’entrée de la Chalonitide et se dirige alors vers Opis et le Mur de Sémiramis, en laissant à sa droite, avec la Gordyène, toute cette contrée que l’Euphrate de son côté laisse à sa gauche et que nous connaissons sous le nom de Mésopotamie. Après quoi, s’étant rapprochés l’un de l’autre et ayant achevé de former ensemble ladite Mésopotamie, le Tigre et l’Euphrate (le Tigre par Séleucie, l’Euphrate par Babylone) se portent vers le golfe Persique, ce que nous avons du reste exposé tout au long dans notre Relevé des erreurs d’Eratosthène et d’Hipparque.” (Strabon, géographies, XI : 14, 8).

Autre particularité du royaume d’Urartu, c’est là que se situerait le mont Ararat dont parle la Bible. Il se trouve d’ailleurs au-dessus de Tushpa, dans la continuité de la ligne Babylone-Ninive-Tushpa. La ligne se termine donc au mont Ararat où échoua l’arche de Noé. D’ailleurs, le mot “Urartu” vient de “urashtu”, un mot assyrien qui signifierait “lieu élevé”. Il y a tout lieu de penser que l’Ararat dont parle l’Ancien testament serait en réalité l’Urartu. Le royaume d’Urartu englobait d’ailleurs l’Arménie actuel.

L’arche de Noé d’un côté, le Jardin d’Eden de l’autre. Cet axe semble lié à l’Ancien testament.

2. L’axe Est-Ouest.

Dans cet axe, nous avons à l’Est Suse (a) et Sichem pour l’Ouest (b).

a. Suse (Est).

Dans la carte du monde sumérienne, c’est Suse qui est indiqué pour l’Est (8). Suse se trouvait en Perse dans le royaume d’Elam. Elle était le lieu d’une importante cité qui existait déjà dans les premiers millénaires de Sumer comme l’attestent plusieurs citations dans la tablette des dynasties royales.

Il ne reste rien, de la splendeur de Suse, que des fondations retrouvé lors de fouille archéologique au XIXe siècle. Un magnifique château de type médiéval a été construit en 1890 avec les pierres retrouvées sur les fouilles.

Le géographe Strabon parle de Suse sur de longues pages.

A la rigueur on peut dire que la Suside, province située entre la Perse et la Babylonie et qui renferme la grande et belle ville de Suse, est devenue elle aussi depuis longtemps partie intégrante de la Perse. Et en effet, après que les Perses et Cyrus eurent vaincu les Mèdes, ils ne tardèrent pas à faire la comparaison entre leur propre pays, relégué en quelque sorte aux extrémités de la terre, et la Suside, qui, par sa position centrale, se trouvait plus à portée de la Babylonie et des autres grands Etats de l’Asie, et ils y transportèrent le siège de leur empire. Outre cet avantage de la proximité, outre le prestige attaché au nom de Suse, une troisième considération les avait décidés, c’est que jamais la Suside n’avait par elle-même rien entrepris ni rien réalisé de grand ; c’est qu’elle avait toujours eu des maîtres, qu’elle avait toujours dépendu d’empires plus vastes, si ce n’est peut-être à l’origine et aux époques héroïques de son histoire. Suse passe en effet pour avoir été fondée par Tithon, père de Memnon, qui lui aurait donné, avec un mur d’enceinte de 120 stades, la forme oblongue qu’elle a. Ajoutons que sa citadelle de toute antiquité s’est appelée le Memnonium et que, suivant Eschyle, Memnon avait pour mère Cissia, ce qui explique pourquoi les habitants de la Suside sont souvent appelés les Cissiens ; que Memnon, du reste [n’a pas son tombeau à Suse], qu’il a été enseveli aux environs de Paltos en Syrie, sur les bords du fleuve Badas, comme le marque Simonide dans le dithyrambe qu’il a intitulé Memnon et qui fait partie de son recueil de Chants déliaques. Si ce qu’on dit est vrai, les murs, les temples, les palais de Suse, comme ceux de Babylone, auraient été bâtis de briques cuites au feu et d’asphalte. Mais s’en rapporte-t-on à Polyclète, Suse aurait eu à l’origine 200 stades de tour et point de mur d’enceinte.” (Strabon, Géographie, XV, 3 : 2)

Suse aurait été fondé par Tithon, père de Memnon. Memnon est l’un des héros de la guerre de Troie qui fut tué par Achille. Il fut d’ailleurs, le roi de Suse. Suse accueillit le tombeau de Memnon, comme elle accueille aujourd’hui celui du prophète Daniel.

Achille et Memnon, entre Thétis et Eos, amphore attique à figures noires.
b. Sichem (Ouest).

La carte du monde sumérienne fait référence à une “montagne” (1) afin de désigner le point le plus à l’Ouest. Si nous traçons une ligne partant de Suse et passant par Babylone, nous arrivons curieusement en Terre Sainte.

La “montagne” désignée par la tablette pourrait donc se situer à Sichem. C’est le lieu où séjourna Abraham lors de son entrée en Terre Sainte. Sichem est d’ailleurs presque aligné sur Suse en passant par Babylone, si nous suivons le parallèle Nord. Suse est au 32°11 Nord, Babylone au 32°32 Nord et Sichem au 32°21 Nord. Il faut tenir compte qu’à l’époque de la construction de ses axes, il n’y avait pas tous les outils technologiques dont nous disposons aujourd’hui. D’ailleurs, cela pose de vastes questions sur le caractère volontaire de ses alignements symboliques ou sur une force divine oriente la main de l’homme. Car il ne s’agit pas seulement de ligne imaginaire tracé à travers l’espace pour relier deux points sur la carte. Il existait des routes bien réelles qui reliaient ses points, par exemple celle allant de Babylone à Sichem.

Pour être plus précis, la route qui partait de Babylone semblait plutôt arriver à Hébron qu’a Sichem.

Hébron qui était l’équivalent de Babylone pour la Terre Sainte. Babylone et Hébron, deux centres de la géographie sacrée du Moyen-Orient était aligné par une route commerciale. Nous pouvons retrouver les grandes lignes de force de la géographie sacrée à travers les anciennes routes. Il y a toute une étude à faire sur le sujet. Toutefois, on se rend compte que la route commerciale de Babylone n’arrivait pas à Hébron, mais à quelques kilomètres de la cité. Hébron était situé au 31°31 Nord, un degré proche de celui de Babylone et de Suse.

Sichem était un important centre commercial où passaient plusieurs routes venant de Babylone, de l’Egypte ou d’Asie mineure.

Les lettres d’Amarna que le roi de Sichem, Labayu, adresse au pharaon d’Egypte, Amenhotep III, son rédigé en écriture cunéiforme, l’écriture de la mésopotamie, dans une variante de l’Akkadien. Sichem était alors appelé Sekem. L’utilisation de cette écriture montre qu’il existait un lien entre la Mésopotamie et Sichem.

Lettre d’Amarna EA 252. Lettre de Labayu (souverain de Sichem) au pharaon égyptien Amenhotep III ou à son fils Akhenaton. 14ème siècle avant notre ère. De Tell el-Amarna, Egypte. Musée britannique

Rappelons-nous que la carte du monde parle d’une montagne à l’Ouest.

C’est à Sichem, que nous trouvons deux montagnes sacrées pouvant correspondre au lieu indiqué par la carte du monde mésopotamienne. Le mont Gerizim et le mont Ebal. Deux montagnes importantes dans le judaïsme de l’Ancien Testament.

Elles sont citées de nombreuses fois dans le texte biblique.

Commençons par un passage qui décrit l’entrée d’Abraham en Terre Sainte. Il arrive à Sichem et Yahvé lui parle.

Voici que je mets aujourd’hui devant vous une bénédiction et une malédiction : la bénédiction, si vous obéissez aux commandements de Yahvé, votre Dieu, que je vous prescris aujourd’hui ; la malédiction, si vous n’obéissez pas aux commandements de Yahvé, votre Dieu, et si vous vous détournez de la voie que je vous prescris en ce jour, pour aller après d’autres dieux que vous n’avez pas connus. Et lorsque Yahvé, ton Dieu, t’aura fait entrer dans le pays où tu vas pour en prendre possession, tu prononceras la bénédiction sur le mont Garizim, et la malédiction sur le mont Ebal. Ces montagnes ne sont-elles pas de l’autre côté du Jourdain, derrière le chemin de l’occident, au pays des Chananéens qui habitent dans l’Arabah, vis-à-vis de Galgala, près des térébinthes de Moré ? Car vous allez passer le Jourdain pour entrer en possession du pays que Yahvé, votre Dieu, vous donne ; vous le posséderez et vous y habiterez. Vous aurez donc soin d’observer toutes les lois et toutes les ordonnances que je mets aujourd’hui devant vous. »” (Deutéronome, XI : 26-32).

Autre cérémonie, cette fois avec l’arche d’alliance.

Alors Josué bâtit un autel à Yahvé, Dieu d’Israël, sur le mont Hébal, selon l’ordre que Moïse, serviteur de Yahvé, avait donné aux enfants d’Israël, comme il est écrit dans le livre de la loi de Moïse, un autel de pierres brutes, sur lesquelles on n’avait pas brandi le fer. Ils y offrirent des holocaustes à Yahvé, et firent des sacrifices pacifiques. Là Josué écrivit sur les pierres une copie de la loi que Moïse avait écrite en présence des enfants d’Israël. Tout Israël, ses anciens, ses officiers et ses juges, se tenaient des deux côtés de l’arche, devant les prêtres lévitiques, qui portaient l’arche de l’alliance de Yahvé, les étrangers aussi bien que les enfants d’Israël, une moitié du côté du mont Garizim, une moitié du côté du mont Hébal, selon l’ordre que Moïse, serviteur de Yahvé, avait donné auparavant de bénir le peuple d’Israël. Puis Josué lut toutes les paroles de la loi, la bénédiction et la malédiction, suivant tout ce qui est écrit dans le livre de la loi. Pas un mot de tout ce que Moïse avait prescrit que n’ait lu Josué en présence de toute l’assemblée d’Israël, des femmes et des enfants, et des étrangers qui vivaient au milieu d’eux.” (Josué, VIII : 30-35).

Le mont Gazim est un lieu de bénédiction, alors que le mont Ebal est un lieu de malédiction, selon une logique, que nous verrons ensuite. N’anticipons pas.

Sichem et le mont Gerizim

II. : Les portes du monde en Mésopotamie.

Dans la géographie sacrée sumérienne, il existe des portes du monde (A) que nous pouvons identifier dans le Jardin d’Eden et la “mappa mundi” (B).

A. Les portes du monde dans la cosmogonie sumérienne.

Selon la civilisation sumérienne, le monde était entouré de huit “nagu” (1) dont deux portes, l’une du Ciel et l’autre de l’Enfer (2).

1. Les huit nagu de la “mappa mundi” sumérienne.

Sur la “mappa mundi” mésopotamienne, la “mer salée” est dessinée sous forme de deux cercles l’un à l’intérieur de l’autre (14, 15, 16 et 17).

Au-delà de la “mer salée”, se trouvent huit montagnes, appelées “nagu“, dont la description est faite au verso de la tablette. Sur le dessin, ils sont représentés par des triangles dont seulement cinq sont parvenu jusqu’à nous. Le bas de la tablette ayant été détruite par l’écoulement du temps.

Le texte au verso explique la carte du monde est faite “à vol d’oiseau” pour décrire les “quatre quadrants” :

(…) des quatre quadrants du monde entier (…) que personne ne peut comprendre“.

Les quatre quadrants étant selon-moi, les deux axes du monde de la géographie sacrée dont nous venons de parler.

La tablette étant endommagée, nous ne disposons pas de la description de l’intégralité des huit “nagu“. Certains étant absents et d’autres décrit partiellement.

Le huitième “nagu”  situé à l’Est est le lieu où se lève le Soleil chaque matin. Elle est appelée “la porte céleste“.

Au verso de la tablette, sur le dessin du monde, le triangle situé en haut (18) semble devoir indiquer le lieu où se couche le Soleil.

Grande Muraille, 6 lieues entre les deux, où l’on ne voit pas le soleil

(en akkadien : BÀD.GU.LA 6 bēru ina bi-rit a-šar Šamaš la innammaru).

Nous pouvons donc supposer que le huitième nagu se trouve en face, dans la partie endommagée de la tablette, c’est-à-dire là où se situent les numéros 8 et 15.

2. La porte du Ciel et la porte des Enfers.

Dans la cosmogonie mésopotamienne, il existe deux portes qui permettent d’accéder au Ciel et a l’Enfer. Aux deux extrémités de la terre, se trouvent deux portes, l’une à l’Orient et l’autre à l’Occident. Elles permettent au Soleil d’entrer et de sortir du Ciel. Le Soleil sortait de la porte d’Enlil à l’Orient chaque matin et partait le soir à l’occident par la porte d’Enki. La porte d’Enlil, correspondait à la porte du Ciel (a) et la porte d’Enki correspondait à la porte de l’Enfer (b). Elles sont verrouillées et personne ne peut les emprunter.

a. La porte d’Enlil : la porte du Ciel.

La description de la porte d’Enlil se trouve dans l’Enuma Elish.

Quand de la suite de l’Année

Il eut ainsi tracé le plan,

Il fixa la Station de la Polaire

Pour définir la cohésion des astres,

Et, afin que nul d’eux ne commît

Faute de négligence en son parcours,

Il établit, jouxte ladite Polaire,

Les stations d’Enlil et d’Ea.

Ayant alors, des deux côtés du Ciel,

Ouvert des Grand-Portes,

Il y posa de solides Verrous

A gauche et à droite.

(Jean Botero, Lorsque les dieux faisaient les hommes, p. 631-632, Enuma Elish, V : 5-10 ).

Enlil est le seigneur (“en”) du vent (“lil”) et de l’air.

Sa porte correspond à la porte du Ciel. Elle permet au Soleil de monter dans le Ciel et par analogie d’accéder dans le monde d’En-Haut.

Du plan de l’Apsû,

Edifia sur son modèle,

Le grand-Temple de l’Esarra :

Qu’il édifia ainsi, c’est le Ciel !

Il y fit occuper leur place

A Anu, Enlil et Ea.”

(Jean Botero, Lorsque les dieux faisaient les hommes, p. 631, Enuma Elish, IV : 139-145 ).

Enlil dispose d’un domaine dans le Ciel, c’est Esarra dont parle l’Enuma Elish.

b. La porte d’Enki (Ea) : la porte de l’Enfer.

Nous trouvons également une description de la porte d’Enki dans l’Enuma Elish.

Quand de la suite de l’Année

Il eut ainsi tracé le plan,

Il fixa la Station de la Polaire

Pour définir la cohésion des astres,

Et, afin que nul d’eux ne commît

Faute de négligence en son parcours,

Il établit, jouxte ladite Polaire,

Les stations d’Enlil et d’Ea.

Ayant alors, des deux côtés du Ciel,

Ouvert des Grand-Portes,

Il y posa de solides Verrous

A gauche et à droite. 

(Jean Botero, Lorsque les dieux faisaient les hommes, p. 631-632, Enuma Elish, V : 5-10 ).

Ea (en akkadien), c’est l’Enki des Sumériens le dieu des eaux douces souterraines. Il porte également le nom de Nudimmud dans l’Enuma Elish. Sa porte correspond à la porte de l’enfer, elle permet au Soleil de disparaître à la tombée de la nuit et par analogie d’atteindre l’enfer.

Enki dispose d’un domaine dans l’enfer, l’apsû.

Il en tendit la peau

Y installant des gardes

Auxquels il donna pour mission

D’Empêcher ses eaux de déborder.

Traversant alors le Ciel,

Il y étudia des Salles-de-Cérémonie

Pour en faire une réplique de l’Apsû,

L’Habitacle de Nudimmud.

(Jean Botero, Lorsque les dieux faisaient les hommes, p. 631, Enuma Elish, IV : 139-145 ).

C’est un immense espace souterrain que l’on situait à l’Occident et qui contenait une vaste cité entourée de sept murailles. Au centre de cette “Grande Ville”, s’élevait un palais de lapis-lazuli où trônaient Ereshkigal, sœur d’Innana, et son époux Nergal, Dieu de la guerre et des épidémies, entourés de nombreuses autres divinités et d’une armée de gardes.

Pour atteindre cette ville, le défunt devait se dévêtir, parcourir un effroyable désert, puis traverser un fleuve sur la barque du “batelier infernal”.

Parvenu à la porte de l’enceinte, il subissait un jugement pour savoir s’il était admis ou non dans le monde des morts. Il devait vivre éternellement dans une vie triste, misérable et en silence.

Nous disposons d’une autre description de la porte d’Enki dans l’épopée de Gilgamesh.

Le nom de cette montagne ,

C’était Les-Jumeaux.

Lorsqu’il arriva

Aux Monts-Jumeaux,

Lesquels, gardant chaque jour

L’itinéraire du Soleil,

Avaient leur sommet

Touchant à la voûte céleste,

Et leur soubassement, en bas,

Qui atteignait l’Enfer,

Des hommes-Scorpions

Défendaient leur entrée :

Il en émanaient un effroi terrifique :

Leur seule vue, c’était la Mort !

Leur effrayant Eclat-surnaturel

Recouvrait ces Montagnes ;

Ils n’étaient là que pour garder

L’itinéraire du Soleil !”

(Jean Bottéro, l’épopée de Gilgamesh, tablette IX, p. 158).

La porte d’Enki est gardée par l’homme scorpion et sa femme.

Dès qu’il les aperçut,

La peur et l’épouvante

Couvrirent le visage de Gilgamesh.

Mais, prenant son parti,

Il s’approcha à leur rencontre,

Et l’Homme-Scorpion

De crier à sa femelle :

Celui qui nous arrive,

Sa personne a quelque chose de surnaturel !

Et sa femelle

Lui répondit :

Il est aux deux tiers dieu,

Et homme pour un tiers !

Alors l’Homme-Scorpion,

S’exclamant

Adressa la parole

Au rejeton des dieux :

Pourquoi as-tu parcouru

Un chemin aussi long ?

Pourquoi es-tu venu

Nous trouver,

Après avoir passé des montagnes

Si difficiles à franchir ?

Je veux savoir

Les raisons de ton voyage ?

(…)

C’est pour aller trouver

Uta-napistî le vénérable,

Qui, admis au Grand-Conseil des dieux,

A obtenu la vie-sans-fin

Je veux le questionner

Sur la Mort et la Vie !

L’Homme-Scorpion, ouvrant alors la bouche

Et prenant la parole

S’adressa

A Gilgamesh :

Il n’y a encore eu personne

A faire un tel chemin !

Nul n’est encore entré

Dans le Défilé de ces Monts !

Sur cent vingt kilomètres,

Y règnent les ténèbres :

Profonde y est l’obscurité,

Sans la moindre lumière.

Du côté d’où en sort le Soleil,

(…)

Là où le Soleil y pénètre,

(…)

Là où il y pénètre,

(…)

A présent,

J’irai jusqu’au bout.

L’Homme-Scorpion

Alors lui répondit,

Il dit

A Gilgamesh -le-roi :

Eh ! bien, pars, Gilgamesh

(…)

Pénètre

A l’intérieur des Monts-Jumeaux,

Traverse

Monts et montagnes (…) !

Que tes pas te conduisent au but,

Sain et sauf !

La Grande-Porte de ces Monts

Est large ouverte devant toi !

Lorsque Gilgamesh

Eut oui cette adresse,

Obtempérant

Aux paroles de l’Homme-Scorpion,

Il prit

Le chemin du Soleil.

Quand il eut parcouru

Dix kilomètres,

Profonde était l’obscurité,

Sans la moindre lumière

Il n’y pouvait rien voir,

Devant lui ni derrière !

Quand il eut parcouru

Vingt kilomètres.”

(Jean Bottéro, l’épopée de Gilgamesh, tablette IX, p. 158-161).

B Les portes du monde dans la géographie sacré mésopotamienne.

Les deux portes du monde que nous venons de voir se retrouvent dans le modèle du Jardin d’Eden (1) comme dans celui de la “mappa mundi” (2). En réalité le système est plus complexe. Chaque porte est dédoublée. Chaque axe comporte une porte de Dieu et une porte des Enfers, mais dans un domaine différent.

1 Les portes du monde dans le Jardin d’Eden.

Nous retrouvons une porte de Dieu et de l’Enfer uniquement à travers l’axe Est-Ouest. A l’Est, nous avons le Phison (a) et à l’Ouest le Gehon (b).

a. Le Phison.

Le Phison trouve sa source dans le mont Zagros qui était considéré par les Sumériens comme la porte de l’Enfer. La chaîne montagneuse impressionna beaucoup les gens de l’Ancien Monde à travers ses grottes sombres et profondes, ses routes pavées et ses escaliers construits pour y accéder. Un cadre fabuleux qui frappa l’imaginaire de nos ancêtres.

Ancien sentier pavé à Zagros, Behbahan.
Ancien sentier pavé à Zagros, Behbahan.
b. Le Gehon.

Le Géhon signifie en hébreu “impétueux” ou en sumérien “les grands ancêtres” ou “les magnifiques anciens“. Il pourrait correspondre à la porte des dieux, en raison de sa dénomination en langue sumérienne que reprend à son compte l’Ancien Testament. Très souvent, les noms de lieux gardent la trace des anciennes croyances.

2. Les portes du monde dans la “mappa mundi“.

C’est une forme particulière de porte de Dieu et de l’Enfer que nous retrouverons systématiquement dans tous les systèmes de géographie sacrée avec un centre et deux axes, comme en Asie Mineure ou en Grèce (le prochain article), en Terre Sainte (l’article suivant) et même dans des système plus récent construit dans le monde chrétien, par exemple en Italie ou en France. Nous verrons cela dans d’autres articles. Cela était déjà présent dans la “mappa mundi” sumérienne.

a. L’axe Nord-Sud.

L’axe Nord Sud concerne le mont Ararat et l’Arabie heureuse. L’Arabie heureuse ainsi que la ville d’Aden font référence au Jardin d’Eden. C’est de manière évidente la porte de Dieu.

A l’opposé, nous avons Tushpa et le mont Ararat. Beaucoup d’historiens, à juste titre estiment qu’Urartu et Ararat sont un seul et même mot. Le mont Ararat se trouvait en Urartu et lui donna son nom.

Mont Ararat.
Photographie de l’anomalie d’Ararat, prise par la Defense Intelligence Agency en 1949.

Après le déluge, c’est là que l’arche de Noé retrouva la terre ferme avec Noé, sa famille et toutes les espèces animal que Dieu avait voulu sauver. Durant le déluge, les hommes furent sacrifiés. C’est un lieu marqué par le mal et par le sacrifice qui s’oppose au Jardin d’Eden lieu idyllique marqué par le bien.

Vue du site de Durupınar, avec la structure en forme de bateau.
b. L’axe Est-Ouest.

L’axe Est-Ouest va de Suse à Sichem.

A l’Est, Suse vit la naissance d’un héros grec (porte des Dieux). Alors que Sichem est le lieu où Dieu adresse des bénédictions et surtout des malédictions aux hommes. Ce fut surtout un lieu de sacrifice comme le montre la cérémonie de l’arche d’alliance (porte des Enfers).

Voilà, nous en avons terminé avec la fabuleuse civilisation sumérienne. Nous verrons au prochaine article les axes du monde en Asie mineure et en Grèce.

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