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Les techniques de manipulation mentale : le mythe politique (9a).

Découvrez les mécanismes subtils de manipulation mentale utilisés en politique dans notre nouvel article captivant : “Les techniques de manipulation mentale : le mythe politique”. Plongez dans les réflexions de Jacques Ellul sur la propagande et comprenez comment les mythes façonnent nos perceptions et comportements.

Laissez-vous inspirer et explorez plus en profondeur ces stratégies en lisant nos livres, suivez-nous sur les réseaux sociaux pour des analyses inédites, et partagez vos pensées en commentaire !

Vous avez sous les yeux le dernier article de ma série sur les techniques de manipulation mentale. Enfin, pour être plus précis, je devrais plutôt dire l’avant-dernier, car celui-ci, en raison de sa taille a été coupé en deux parties. Je clôture ce vaste travail en évoquant le rôle du mythe politique dans la propagande. Il prend la suite directe de l’article sur le conditionnement. En matière de propagande, le conditionnement et le mythe sont intimement liés comme le dit fort justement Jacques Ellul.

Pour Jacques Ellul, dans son livre “Propagande“, il y a deux phases :

Il faut diviser deux phases dans la propagande.

Il y a la pré-propagande, ou sub-propagande, et la propagande active. Ceci se rattache à ce que nous disions plus haut du caractère continu, permanent, de la propagande. Ce n’est évidemment pas la propagande active, intense, de crise qui doit être continue : c’est la sub-propagande. Celle-ci a pour but de mobiliser les individus, c’est-à-dire, au sens étymologique, de les rendre mobiles, de les rendre mobilisables, afin de les lancer dans l’action au moment venu.” (Jacques Ellul, propagandes, p. 42)

Il y aurait donc deux phases dans la propagande :

  • La première phase : la pré-propagande.
  • La deuxième phase : la propagande active.

La pré-propagande comporte deux moyens d’action.

Les deux grandes voies que va emprunter cette sub-propagande, ce sont le réflexe conditionné et le mythe.

On essaie Tout d’abord de créer chez l’individu des réflexes conditionnés par un véritable dressage qui, en présence de certains mots, de certains signes, de symboles, et aussi en présence de certaines personnes ou de certains faits, provoquent des réactions immanquables.

(…)

D’autre part l’on essaie également de créer des mythes dans lesquels l’homme va vivre et qui répondent à son sens du sacré. Nous désignerons ici par mythe une image motrice globale, une espèce de vision des objectifs souhaitables, mais qui ont perdu leur caractère matériel, pratique, pour être devenus une image fortement colorée, maîtrisante, globale, contenant tout le souhaitable, refoulant hors du champ de la conscience tout ce qui ne se rapporte pas à elle. Et cette image pousse l’homme à l’action précisément parce qu’y sont inclus tout le bien, toute la justice, toute la vérité pour cet homme. » (Jacques Ellul, propagandes, p. 43)

Il existe deux grandes techniques en matière de pré-propagande :

  • Le réflexe conditionné.
  • Le mythe.

Dans le précédent article, nous avions vu le réflexe conditionné, nous allons voir dans cet article le mythe.

Nous verrons d’abord la notion de mythe fondamental (I) dont l’un des principaux, parmi d’autres est le mythe du sauveur (II). Une fois le mythe politique construit avec patience durant la période de pré-propagande, le pouvoir politique peut l’utiliser dans le cadre d’une campagne de propagande pour prendre le pouvoir, puis le garder. C’est ce que nous verrons dans l’article suivant.

I. Les mythes fondamentaux.

Jacques Ellul donne beaucoup de détail sur les mythes politiques dans le cadre de la propagande politique. Il le fait dans plusieurs livres ou articles, que ce soit dans son très important livre “propagande“, dans son “histoire de la propagande” ou dans un article moins connu sur les “mythes modernes“.

Nous allons dire quelques mots sur les influences de la propagande politique au niveau psychologique (A), avant de parler des mythes sociaux, pour reprendre l’expression qu’utilise Jacques Ellul (B).

A. Les influences de la propagande.

La propagande doit non seulement se rattacher à ce qui préexiste dans l’individu, mais également traduire les courants fondamentaux de la société qu’elle cherche à influencer.” (Jacques Ellul, propagandes, p. 51)

La propagande doit utiliser deux types d’influences :

  • Les éléments qui préexistent dans l’individu. : l’inconscient individuel (1).
  • Les courants fondamentaux de la société : l’inconscient collectif (2).

1. L’inconscient individuel.

Lorsque Jacques Ellul évoque les éléments fondamentaux dans l’individu, il fait référence à l’inconscient individuel.

L’inconscient individuel est composé d’un certain nombre d’éléments, comme par exemple les complexes qui ont été refoulés (a), ce qui est inné chez l’individu (b), mais également les pulsions (c).

a : Le refoulement.

Le refoulement est un mécanisme psychologique d’une très grande importance dont il faut dire quelques mots.

Le refoulement est une opération psychologique par laquelle une personne cherche à rejeter dans l’inconscient des représentations qui entrent en conflit avec d’autres éléments de la conscience. La représentation conflictuelle reste active, mais elle est rejeté dans l’inconscient individuel.

C’est le Surmoi qui va intervenir dans le conflit et interdire a une représentation psychologique de se maintenir dans la conscience. Le Surmoi provoque une tension pénible pour la personne. Le psychisme de la personne va se défendre en le refoulant dans l’inconscient.

En matière de propagande, il faut tenir compte des refoulements qui sont communs à une population, à un groupe d’individus voir à une nation ou a une civilisation afin de ne pas connaître d’échec. Par exemple le tabou sur les questions de l’argent dans le catholicisme ou les tabous sexuels dans les pays protestants. Une campagne de propagande qui étalerait de manière trop ostensible l’argent serait très bien perçue au Etats-Unis (de religion protestante), alors qu’elle gênerait les gens en France (de religion catholique).

Toutefois, un élément qui a été refoulé dans l’Inconscient va tenter de revenir à la conscience. On parle alors du retour du refoulé. Cela peut prendre la forme de lapsus, d’acte manqué, d’oublis, de faux souvenirs, les actes symptomatiques ou de souvenir-écrans.

Le propagandiste doit savoir jouer avec les éléments refoulés qui tente de revenir à la conscience. C’est une arme redoutable et parfois dévastatrice. Nous verrons cela avec le nazisme dont la propagande utilisa de vieux mythes germaniques et scandinaves, comme celui de Wotan, ce qui suscita un déchaînement de violence et de haine rarement vue dans l’histoire.

b : Les éléments innés.

L’inné est l’encodage génétique d’ancien comportement psychlogique répété à travers le temps au sein d’un groupe humain. C’est une sorte de conditionnement, mais qui va s’étaller sur une très longue période. Lorsqu’un comportement est répété durant des siècles, voir des millénaire il peut devenir un mécanisme inné. Il se transmet génétiquement dès la naissance a l’ensemble de la population.

c : Les pulsions.

L’inconscient individuel est le réservoir des pulsions. Nous avions vu dans l’article précédent sur le conditionnement que Serge Tchakhotine distinguait quatre types de pulsions qui sont très utiles en matière de conditionnement et donc de propagande.

Les quatre types de pulsions fondamentales sont :

  • La pulsion n°1 : pulsion combative.
  • La pulsion n°2 : pulsion alimentaire.
  • La pulsion n°3 : pulsion sexuelle.
  • La pulsion n°4 : pulsion parentale.

Chacune de ses pulsions dispose d’un aspect positif et négatif. Cela fait un total de huit pulsions fondamentales.

Les huit pulsions fondamentales sont donc :

La pulsion n°1 : pulsion combative.

  • Positive : enthousiasme.
  • Négative : violence.

La pulsion n°2 : pulsion alimentaire.

  • Positive : gourmandise.
  • Négative : boulimie, anorexie.

La pulsion n°3 : pulsion sexuelle.

  • Positive : amour.
  • Négatice : jalousie.

La pulsion n°4 : pulsion parentale.

  • Positive : protection des enfants.
  • Négative : destruction des enfans.

2. L’inconscient collectif.

Pour Jacques Ellul, les courants fondamentaux de la société correspondent à l’inconscient collectif tel que défini par Jung.

La propagande ne peut être étrangère aux présuppositions collectives sociologiques, aux mythes spontanés, aux idéologies globales. Nous n’entendons point par-là tel courant politique ou telle opinion temporaire qui changera dans quelques mois, mais les données psychosociologiques fondamentales sur qui repose toute une société, pré-suppositions et mythes qui ne sont pas au niveau individuel, ou même au niveau d’un groupe particulier, mais qui sont partagés par tous les individus d’une société globale, leurs tendances politiques ou leurs appartenances de classe fussent-elles opposées.” (Jacques Ellul, propagandes, p. 51)

Il s’agit de mythe collectif qui fonctionne au niveau de l’ensemble de la société, c’est pour cela qu’ils sont collectifs. Ils ne sont pas temporaires pour une époque donnée, mais durable et permanent. Ils ne se situent pas au niveau individuel ou même d’un groupe d’individus, mais vont s’appliquer à toutes les personnes qui vivent dans une société.

Une propagande qui se dresserait contre ces structures fondamentales, à la fois réelles par leur substratum et psychologiques par l’adhésion des hommes, n’aurait aucune chance de réussir.

Toute propagande est au contraire assise sur l’existence de ces courants fondamentaux, et elle les exprime.” (Jacques Ellul, propagandes, p. 51)

Il est évident qu’aucune propagande ne peut agir à l’encontre des éléments de l’inconscient collectif. Le propagandiste doit connaître les mythes qui existent dans une société et savoir les utiliser. C’est un point fondamental qu’il faut connaître, sous peine de connaître de graves échecs, c’est pour cela que Jacques Ellul va se donner beaucoup de peine à étudier les mythes sociaux.

B. Les mythes politique.

Dans l’inconscient collectif, selon Carl Gustav Jung, il y a des archétypes, que Jacques Ellul appel “mythes. C’est la clef de voûte de la propagande. Je ne saurais jamais assez insister sur ce point.

L’autre grand reflet psychique de la réalité sociale est le mythe.

Le mythe exprime les tendances profondes d’une société. Il est la condition d’adhésion des Masses humaines à une certaine civilisation et à son processus de développement ou de crise. Il est une représentation vigoureuse, fortement colorée, irrationnelle et chargée de toute la capacité de croyance de l’individu. Il détient une charge religieuse.” (Jacques Ellul, propagandes, p. 52)

Le mythe exprime les tendances profondes d’une société. Ils sont donc collectifs. Ils constituent le fondement d’une civilisation.

Elle lui fournit à la fois un système global d’explication du monde et des motifs immédiats d’action. Nous sommes ici en présence de l’organisation du mythe qui essaie de saisir la totalité de la personne. Par le mythe qu’elle crée, la propagande, elle, impose une image globale, de connaissance intuitive qui n’est susceptible que d’une interprétation, unique, unilatérale, et qui exclut toute divergence. Et ce mythe prend une telle vigueur, qu’il envahit tout le champ de la conscience, qu’il ne laisse aucune faculté, aucune tendance intacte. Il provoque chez l’individu une situation d’exclusivité, une position sectaire. Il a une telle puissance motrice, que, une fois accepté, ce mythe contrôle la totalité de l’individu, qui échappe à toute influence seconde. C’est ce-qui explique, dans tous les cas de réussite de création du mythe, l’attitude totalitaire que prend l’individu, correspondant simplement à l’action totalitaire de la propagande sur lui-même.” (Jacques Ellul, propagandes, p. 22-23)

Nous avions vu qu’il y a deux phases dans la propagande : la pré-propagande et la propagande active.

La pré-propagande par le conditionnement va créer des mythes politiques. Cela vise à rendre disponible un certain nombre de mythes qui pourront ensuite être utilisé le moment venu lors de la campagne de propagande active.

  • 1ere étape : pré-propagande. Création de mythe par le conditionnement.
  • 2e étape : propagande active. Utilisation des mythes.

II. Le mythe du sauveur.

A la suite de cette présentation générale du mythe politique dans la propagande, il me paraît intéressant d’évoquer plus spécifiquement le rôle du chef dans la société selon la psychologie (A), puis de voir plus spécifiquement le mythe du sauveur, qui est une forme particulière de mythe politique qui joue un certain rôle social en cas de crise politique ou social. C’est ce dont parle Raoul Girardet dans l’un de ses meilleurs livres sur les mythes politiques (B). C’est alors que va s’activer un certain nombre de mécanismes psychologiques dont parle le psychologue Jung (C).

A. Le rôle du chef dans la société, selon la psychologie.

Il est impossible de parler dans cet article de tous les psychologues qui ont abordé dans leurs travaux le rôle du chef dans un groupe Le sujet est trop vaste pour un article qui dépasse déjà toutes les limites de tailles. Restreignons-nous à deux auteurs, fort intéressant et peut connu du grand public, ils s’inscrivent tous les deux dans la continuité des travaux de Jung sur l’inconscient collectif et les archétypes. Voyons d’abord, par ordre chronologique, Wilfred Bion (1) et Fritz Redl (2).

1. Wilfred Bion (1942-1948).

Wilfred Bion (1897-1979) est un psychologue anglais. Il travailla durant la Deuxième Guerre mondiale pour l’institut Tavistock avec John Bowlby et John Rickman. John Bowlby a réalisé de remarquables travaux sur la théorie de l’attachement en étudiant l’attachement de l’enfant à sa mère durant les premières années de sa vie et des ravages que produit son absence sur la psychologie de l’enfant et qui ce maintien à l’âge adulte. Il va mettre en évidence l’importance de l’empreinte sur la psychologie humaine et va développer une classification des personnalités en fonction de la relation de la mère à son enfant. Un sujet qui me passionna lorsque j’était étudiant en psychologie. A l’époque, j’avais lu les trois énormes volumes de Bowlby sur l’attachement. Bion, lui va devenir l’un des plus grand spécialiste mondial de la psychologie de groupe, du leadership et de la manière dont on crée un leader. Comme pour Bowlby, c’est en soignant les enfants orphelins de guerre et les soldats britanniques blessés qu’il va comprendre les mécanismes en jeux.

Il va en particulier confirmer l’existence d’un inconscient collectif qu’il appelle “mentalité de groupe” ou “schème mentaux collectif“. Il empreinte ce concept à la pensée de Jung, même si l’auteur était dans la lignée de pensée de Mélanie Klein.

La mentalité de groupe joue le rôle de référent commun pour l’ensemble des membres d’un groupe. Cette mentalité de groupe se retrouverait à l’identique dans l’inconscient individuel de chaque membre.

Il va en particulier découvrir trois schèmes fondamentaux dans cette mentalité de groupe en lien avec le chef :

  • La dépendance (a).
  • Le couplage (b).
  • L’attaque-fuite (c).

Ces trois schèmes pouvant être activé successivement ou simultanément.

Avant de développer chacun de ses trois éléments, il faut dire quelques mots sur la notion de schème. Dans l’inconscient collectif, que Bion appelle “mentalité de groupe”, nous trouvons un certain nombre de symboles qui sont des images archétypales. Ce sont des images statiques. Mais Bion va mettre en évidence l’existence d’images mobiles qui sont en quelque sorte des séquences de symboles, des archétypes qui se succède comme le scénario d’un roman ou d’un film. C’est ce que l’on appelle des “schèmes”, c’est-à-dire des éléments qui se succèdent dans le temps et qui comporte une série d’actions inconscientes unies vers un même but. Nous retrouvons un catalogue des schèmes de l’inconscient collectif dans les contes de fées ou dans le théâtre antique grec. C’est un domaine qui n’a presque pas été développé par Jung lui-même, il avait délégué cette tâche à d’une de ses meilleures élèves, Marie-Louise von Franz. Il faut lire ses livres sur les contes de fées, le conte du Graal ou l’alchimie dans lesquelles elle développe avec un immense talent ce domaine de recherche.

a : La dépendance.

Le schème de la dépendance correspond à la recherche du soutien d’un chef au sein d’un groupe afin que le groupe soit aidé dans ses difficultés et obtenir la sécurité. Le leader va alors apparaître pour le groupe comme le seul capable d’assurer la sécurité, la satisfaction des besoins vitaux. Il est en quelque sorte le sauveur.

Il y a, par exemple, dans les contes de fées, un scénario classique du vieux roi qui cherche un fils pour lui succéder sur le trône, ou alors un royaume en décrépitude, sans roi, qui cherche désespérément un souverain pour redonner de l’ordre et faire revenir la prospérité. Le scénario est toujours le même. C’est le schème de la recherche du roi. Un thème très actuel de nos jours.

C’est l’histoire du roi-grenouille que l’on retrouve chez les frères Grimm ou chez Affanassiev. Ces deux auteurs sont allés écouter les contes de fées racontés autour du feu, le soir, au sein du petit peuple, en les notant minutieusement sans rien ajouter, ni retrancher. C’est la restitution de la mémoire collective du petit peuple qui est précieusement restituée. C’est un important travail de mémoire de l’inconscient collectif qui fut réalisé en Allemagne et en Russie. Une mine d’or pour les chercheurs. Un travail qui ne serait plus possible de nos jours.

Ce qui est fascinant, c’est que l’on retrouve toujours les mêmes symboles, les mêmes schémas narratifs d’un pays à l’autre, d’une région à l’autre, avec quelques variantes locales selon les régions. Mais le fonds est toujours le même. La recherche du roi qui va sauver le royaume de la décadence est toujours là, il est espéré par le peuple. C’est un des plus puissants symboles présents dans l’inconscient collectif. Il hante toutes les mémoires quel que soient le peuple. C’est fascinant.

L’époque et les conditions dans lesquelles Wilfred Bion, constate la présence du schème de la dépendance ne sont pas sans intérêt. Des blessés de guerre au milieu d’une immense conflagration militaire qui a provoqué beaucoup de destruction et des millions de morts. Le besoin de trouver un chef compétent était donc immense. Un peu comme aujourd’hui.

b : Le couplage.

Le schème du couplage correspond à la promesse de la résolution des problèmes.

Une fois le chef trouvé, celui-ci doit résoudre les problèmes au sein du groupe. Il doit partir à la quête de la solution et rétablir l’ordre et l’harmonie. Car l’essentiel n’est pas de choisir un chef pour diriger, mais faut-il encore que celui-ci soit compétent pour trouver une solution au problème.

En cas d’échec, le groupe cherchera un autre chef plus apte.

C’est tout le drame de notre époque. Nos chefs sont tous plus incompétents les uns que les autres, que ce soit à la tête de l’Etat ou dans l’opposition. Le couplage n’a pas encore eu lieu. Par exemple, lors de l’épisode des gilets jaunes, il y a eu plein de gens qui se sont auto-proclamé chefs du mouvement, mais le couplage ne se forma jamais sur l’un d’eux. C’est la cause de l’échec de la révolte. Aucun n’avait le niveau pour remplir cette tâche. A l’inverse le couplage se réalisa parfaitement lors de l’occupation sur la personne du général de Gaulle.

La notion de couplage est essentielle à comprendre. Le chef doit répondre aux attentes de son groupe, ce n’est seulement, et seulement alors que le couplage se forme. Le couplage, c’est la relation harmonieuse entre le chef et son peuple.

c : L’attaque-fuite.

Le schème de l’attaque-fuite doit répondre à la perception d’un danger et aux différentes façons d’y réagir.

Il y a deux solutions possibles, soit par la lutte, soit la fuite.

Le groupe va alors se percevoir comme une entité collective cohérente face au danger. C’est un phénomène très connu en psychologie. Lorsqu’un peuple est attaqué par un ennemi, il va faire corps autour de son chef.

C’est d’ailleurs un principe que ne comprennent pas, les Américains. Lorsque George Bush père comme fils ont attaqué l’Irak, ils ont favorisé la cohésion du groupe autour de Saddam Hussein. Ce fut également le cas lors de la Seconde Guerre mondiale autour d’Hitler. C’est ce qui explique la résistance fanatique des Allemands dans les derniers instants au milieu des ruines de Berlin assiégée. Il aurait été beaucoup plus efficace d’attaquer le deuxième schème en entreprenant une campagne de propagande pour découpler le lien entre Hitler et les Allemands ou entre Saddam Hussein et les Irakiens. Il n’y a pas que des génies dans les services de propagande américains.

Parfois, c’est la fuite qui est suscitée par les chefs, comme ce fut le cas lors de l’exode en mai 1940. Un exode massif de millions de Hollandais, de Belges et de Français provoqué par de mauvais choix des hommes politiques et très intelligemment mis en œuvre par la propagande allemande et sa redoutable cinquième colonne. La déroute de 1940 est avant tout une défaite sur le terrain psychologique qui eut ensuite des répercussions militaires.

Il suffit juste de noter le catastrophique choix du nom de “drôle de guerre” concernant la période d’attente d’une attaque allemande entre septembre 1939 et mai 1940. Ce nom montre très bien que, par le choix de cette expression, la population avait intériorisé avant même les premiers coups de canon, la défaite. Par la suite, le peuple ne pouvait que fuir et paniquer. La débandade était implicitement suscitée par les décisions des hommes politiques. En effet, i n’y a rien de drôle dans une guerre qui se déroule à sa frontière, un conflit qui doit décider du destin et de la survie de la Nation.

Un chef compétent va toujours choisir la bonne solution face au danger afin de garantir la survie de son pays et de son pouvoir.

2. Fritz Redl (1942) et la personnalité centrale.

Fritz Redl (1902-1988) est un psychanalyste américain d’origine autrichienne qui entrepris des recherches sur le rôle du chef dans le groupe. Il était freudien et a étudié la psychanalyse sous la direction d’Anna Freud à Vienne. En 1936, il est invité à devenir chercheur aux États-Unis par la Fondation Rockefeller. Il travaillera de longues années avec son ami Bruno Bettelheim.

Il se fera connaître en 1942 par un article retentissant dans la revue “Psychiatry” sur “la formation et le leadership du groupe“. Redl fonda son étude sur l’observation de groupes d’enfants et d’adolescents dans leur classe ou durant des colonies de vacances. Cela se passa durant la guerre. Là encore, je prends la peine de le préciser, car cela est très important. Il y a un contexte d’angoisse politique qui favorisait ce qu’il allait découvrir. Dans une époque de pleine croissance et de paix, il n’est pas certain que les résultats auraient été les mêmes.

Fritz Redl évoque le rôle du “leadership”, c’est-à-dire de ce qu’il appelle “la personnalité centrale” dans le groupe. Il va observer les rapports psychologiques entre le groupe et le chef selon les concepts de la psychanalyse. Ce qu’il va découvrir est alors un séisme dans le tranquille monde de la psychologie. Il va observer que la personnalité centrale d’un groupe est l’objet de réactions émotionnelles positives ou négatives qui vont avoir de grandes conséquences.

Le chef va être l’objet d’une identification. Il va recevoir les pulsions psychologiques des membres du groupe. Nous avions vu plus haut qu’il y avait huit pulsions fondamentales selon Tchakhotine. Certaines de ces pulsions vont être projetées sur le chef. Cette projection va ensuite créer une identification en retour.

C’est un mécanisme psychique qui se déroule en deux temps.

D’abord une projection d’un élément de l’inconscient sur le chef.

Ensuite, une identification au chef.

Le couple projection-identification est essentiel pour comprendre l’importance du chef dans un groupe.

Le chef qui reçoit la projection et qui va faire l’objet d’une identification est un personnage qui doit avoir un certain nombre de qualités qui vont provoquer des réactions émotionnelles chez les autres personnes. Cela concerne des pulsions venant de l’inconscient. C’est en observant les relations affectives entre le chef et le groupe que l’on peut déterminer dix formes différentes de personnalités centrales.

Nous avons :

  • Le souverain patriarche.
  • Le leader.
  • Le tyran.
  • L’objet d’amour.
  • L’objet de pulsion agressive.
  • L’organisateur.
  • Le séducteur.
  • Le héros.
  • La mauvaise influence.
  • Le bon exemple.

Les types de chefs concernent la manière dont un groupe peut être dirigé en fonction de sa relation avec le chef. Cela ne concerne pas, à proprement parler, le mythe du sauveur, qui est un type de chef très spécifique que l’on ne retrouve que dans des situations spéciales. Il ne faut pas confondre le chef et le sauveur. Le chef correspond à l’ordre naturel des choses. Le sauveur est un chef temporaire et spécifique lorsqu’il y a crise. C’est ce que nous allons voir.

B. Le mythe du sauveur chez Raoul Girardet.

La question du mythe du sauveur est expliquée en détail par Raoul Girardet dans son livre “les mythes politiques“.

Dans son livre, Raoul Girardet évoque plusieurs mythes politiques, comme “la conspiration“, “l’âge d’or“, “l’unité” et donc “le sauveur“.

Il détermine quatre modèles de sauveurs (1) qui interviennent lors de deux types de crises (2).

1. Les quatre modèles de sauveur.

Il distingue quatre modèles de saveur qui correspondent à quatre figures historiques de l’Antiquité, Cincinnatus (a), Alexandre le Grand (b), Solon (c) et Moïse (d).

a : Cincinnatus : l’archétype du sage illustre en retraite.

Le premier modèle archétypal du sauveur que propose Girardet est celui de Cincinnatus.

L’image légendaire est, de toute façon, celle d’un vieil homme qui s’est illustré en d’autres temps dans les travaux de la paix ou de la guerre. Il a exercé avec honneur de hautes charges, de grands commandements, puis a choisi une retraite modeste loin des tumultes de la vie publique. Interrompant une vieillesse paisible et respectée (…), l’angoisse de tout un peuple confronté brusquement au malheur l’appelle pelle à la tête de l’Etat. Ayant “fait don de sa personne” à la patrie, provisoirement investi d’un pouvoir suprême d’essence monarchique, sa tâche est d’apaiser, de protéger, de restaurer.” (Raoul Girardet, les mythes politiques, p. 73-74).

Les représentants du Sénat offrent la pourpre à Cincinnatus, Giovanni Francesco Romanelli, 1655-1658.

Pour incarner cet archétype du sauveur, il faut une qualité, celle de la “gravitas“.

Les vertus qu’on lui attribue et dont on attend le salut de la cité menacée correspondent très exactement au terme global utilisé par les Latins pour désigner une certaine forme d’exercice de l’autorité politique et qui est celui de gravitas : la fermeté dans l’épreuve, l’expérience, la prudence, le sang-froid, la mesure, la modération.” (Raoul Girardet, les mythes politiques, p. 74).

La “gravitas” est une notion politique que l’on retrouve dans le monde romain. C’est la fermeté dans l’épreuve, l’expérience, la prudence, le sang-froid, la mesure, la modération.

En fait, la référence à l’histoire, le poids du souvenir jouent ici un rôle essentiel : ce n’est rien d’autre que le passé – un passé d’ordre ou de gloire – qui se trouve appelé au secours du présent – un présent de confusion ou de défaite. D’où, dans le discours du légendaire de ce type, la place essentielle occupée par les principes de continuité et de stabilité, les valeurs de permanence et de conservation.” (Raoul Girardet, les mythes politiques, p.74).

Le mécanisme psychologique derrière ce premier archétype du saveur va opposer deux mondes et surtout deux périodes.

  • Le passé : glorieux et bien ordonné.
  • Le présent : confusion, désordre et défaite.

Afin de trouver une solution au problème du présent, on se propose de revenir au passé. Le retour au passé va permettre de retrouver ordre et prestige. C’est un grand classique de la politique depuis toujours.

Pour donner quelques exemples, nous avons le Maréchal Pétain en 1940 ou le Général de Gaulle en 1958.

b : Alexandre le Grand : l’archétype du conquérant guerrier.

La deuxième grande figure archétypale du sauveur selon Girardet est Alexandre le Grand.

A l’archétype de Cincinnatus fait pendant celui d’Alexandre. Celui-ci ne porte ni le sceptre, ni la main de justice, ni l’épée. Il ne fait pas “don de lui-même”, il s’empare des foules qu’il subjugue. La légitimité de son pouvoir ne procède pas du passé, ne relève pas de la piété du souvenir ; elle s’inscrit dans l’éclat de l’action immédiate. Le geste de son bras n’est pas symbole de protection, mais invitation au départ, signal de l’aventure. Il traverse l’histoire en un éclair fulgurant. héros de la jeunesse et du gouvernement, son impétuosité va jusqu’à dompter la nature ; il franchit les montagnes, traverse les déserts, bondit par-dessus les fleuves.” (Raoul Girardet, les mythes politiques, p. 74-75).

Détail de la Bataille d’ArbèlesCharles Le Brun, 1669, musée du Louvre.

Alexandre le Grand est la figure inverse de Cincinnatus. D’un côté, un grand général à la retraite qui est rappelé pour sauver le pays de la catastrophe, de l’autre, un jeune général brillant qui construit un empire en une génération par ses victoires militaires.

Il n’est plus alors ce météore de l’histoire dont le destin s’inscrit dans une aventure fulgurante mais éphémère. C’est dans la perspective de la durée que son personnage trouve son accomplissement. Posant et définissant les règles qui seront demain celles de la vie collective, il construit l’édifice que les générations futures auront pour tâche de maintenir.” (Raoul Girardet, les mythes politiques, p. 77).

Dans le cas de figure de Cincinnatus, il y a un rapport de comparaison entre le passé et le présent. Avec Alexandre le Grand, la comparaison va se porter entre le présent et l’avenir. Dans le présent, un empire se forme, et l’enjeu est de faire durer cet empire pour le futur à travers les générations qui vont succéder au sauveur. Leur mission est de maintenir vivant son enseignement et ce qu’il a construit.

  • Présent : construction d’un empire.
  • Futur : maintenir cet empire vivant.

c : Solon : l’archétype du législateur.

Le troisième archétype du sauveur est Solon, le réformateur athénien.

L’image de l’homme providentiel se présente ainsi sous la forme d’un troisième modèle. L’archétype de Solon, le législateur, vient se substituer à celui d’Alexandre, le conquérant.” (Raoul Girardet, les mythes politiques, p. 77).

Solon par Francesco Hayez Galeries de l’Académie de Venise.

Girardet ne dit pas grand-chose sur Solon. Il faut lire le récit de sa vie pour comprendre la nature de cet archétype.

Avec le législateur, il n’y a pas de référence à un passé glorieux ou d’empire à maintenir pour l’avenir. Si le conquérant construit un empire à la force de ses armes, le législateur va instaurer une institution grâce à son esprit. Il construit de toute pièce une institution qui va traverser le temps. Ces institutions serviront ensuite de modèle aux générations futures.

d : Moïse. : l’archétype du prophète.

Le dernier archétype est Moïse, le prophète hébreu qui guida son peuple vers la Terre promise.

Dernier modèle enfin “Moïse” ou l’archétype du prophète. Annonciateur des temps à venir, il lit dans l’histoire ce que les autres ne voient pas encore. Conduit lui-même par une sorte d’impulsion sacrée, il guide son peuple sur les chemins de l’avenir. C’est un regard inspiré qui traverse l’opacité du présent, une voix qui vient de plus haut ou de plus loin, qui révèle ce qui doit être vu et reconnu pour vrai.” (Raoul Girardet, les mythes politiques, p. 78).

Le cas de figure du prophète est très intéressant. Il est celui qui va guider son peuple vers l’avenir. Pour la plupart des gens, l’avenir est incertain et rempli de brouillard. Il faut que certains hommes soient capables de voir à travers le brouillard pour comprendre ce qui va survenir. C’est la fonction du prophète. C’est ce que fit Moïse. Les Juifs étaient esclaves en Egypte et Moïse va comprendre que l’avenir des Hébreux était de quitter l’Egypte pharaonique pour conquérir son propre territoire.

Processus d’identification d’un destin individuel et d’un destin collectif, d’un peuple tout entier et de l’interprète prophétique de son histoire, qui trouve de toute évidence son aboutissement exemplaire dans la cohorte assez hallucinante de ces grands “chefs” dictatoriaux dont notre siècle a vu se multiplier les images. Orateurs de caractère quasi-sacré, c’est d’abord par le Verbe qu’ils agissent, par la parole qu’ils entendent décider du cours de l’histoire.” (Raoul Girardet, les mythes politiques, p. 78).

Ce qui est très intéressant avec le prophète, c’est qu’il ne se contente pas de décrypter l’avenir, il va également donner un sens nouveau au passé qu’il va ensuite projeter dans l’avenir. Il y a une continuité entre le passé, le présent et l’avenir que le prophète a pour fonction de révéler au peuple. Il annonce ce qui va arriver, car il décrypte le passé et le présent.

C’est par la puissance spécifique du Verbe que s’opère en effet cette étrange communion qui fait que, le chef prophétique s’adressant à la foule, c’est également la foule qui s’exprime en lui, avec lui.” (Raoul Girardet, les mythes politiques, p. 79).

Si le conquérant agit par la puissance de ses armes, le prophète va utiliser le don de la parole pour influencer la foule.

2. Les deux types de crises.

Raoul Girardet évoque deux types de crises politiques qui peuvent amener à ce que le peuple fasse appel à un saveur. Nous avons la crise de légitimité (a) et la crise d’identité (b).

a : La crise de légitimité

La première crise est celle de la légitimité.

Ces vicissitudes peuvent relever d’origines multiples s’être manifestées sous les formes les plus diverses : blocage institutionnel, rejet global d’un personnel gouvernemental justement ou injustement discrédité, effondrement financier, désordre intérieur, menace étrangère , désastre militaire. Dans tous les cas, cependant, elles semblent bien avoir correspondu avec l’apparition, puis le développement de ce que l’on est sans doute en droit d’appeler une crise de légitimité.” (Raoul Girardet, les mythes politiques, p. 86).

La crise de légitimité que l’on appelle parfois crise de régime concerne les cas de figure où la population cesse d’obéir au pouvoir, elle ne lui reconnaît plus la légitimité de sa fonction. On va alors s’attaquer aux institutions et à ceux qui les occupent. Cela crée de graves désordres intérieurs et des risques venant de l’étranger.

Arrêtons-nous sur chacun de ces éléments, car ils ne sont pas sans une certaine importance.

Tout pouvoir peut, en fin de compte, apparaître comme légitime lorsque, pour la grande masse de l’opinion et dans le secret des esprits et des cœurs, le maintien des institutions en place est reconnu comme une évidence factuelle, échappant à toute contestation, à l’abri de toute remise en cause.” (Raoul Girardet, les mythes politiques, p. 88).

La légitimité, c’est lorsque personne ne conteste les fonctions de celui qui occupe le pouvoir politique. Ce fut le cas de la monarchie en France durant mille cinq cents ans. Ce fut aussi également le cas avec la République à partir de la IIIe République. Même lorsque les institutions seront contestées, personne ne remettait en cause le principe républicain. Lorsque le Maréchal Pétain renversa la IIIe République, il n’en profita pas pour remettre un Roi sur le trône. Les monarchistes qui ont participé au début de la Résistance n’ont jamais exigé le retour du roi.

Le pouvoir, les principes sur lesquels il repose, les pratiques qu’il met en œuvre, les hommes qui l’exercent et qui l’incarnent, sont désormais ressentis comme “autres”, font figure d’ennemis ou d’étrangers.” (Raoul Girardet, les mythes politiques, p. 88).

Mais avec la crise des gilets jaunes, pour la première fois, le peuple va remettre en cause le régime et la légitimité de ceux qui occupent les fonctions de pouvoir. Des institutions vont être attaquées par le peuple, des hommes politiques attaqués chez eux. Nous sommes, depuis 2018, en présence d’une incontestable crise de légitimité.

Ce sont précisément dans ces périodes d’intermittence de la légitimité, dans ces moments de déséquilibre, d’incertitude ou de conflit que ce sont chronologiquement situés les appels les plus véhéments à l’intervention du héros salvateurs.” (Raoul Girardet, les mythes politiques, p. 89).

C’est lors des crises de légitimité que surgit l’appel du peuple à l’intervention du héros, du sauveur qui va rétablir l’ordre à l’intérieur et la puissance perdues à l’extérieur. L’analyse de Raoul Girardet sur ce point est remarquable.

c : La crise d’identité.

Raoul Girardot ne parle presque pas de la crise d’identité. Elle est pourtant un aspect important de l’appel au sauveur. Elle est d’une nature différente de la crise de légitimité, même si parfois la crise d’identité entraîne une crise de légitimité. C’est parce qu’un peuple a perdu son identité qu’il va contester la légitimité de ceux qui ont conduit à ce résultat. C’est le cas dans la crise politique que connaissent la France depuis 2018 et l’épisode des gilets jaunes.

Là encore, dans la France actuelle, il y a une crise d’identité, en raison de l’invasion migratoire de masse venant d’Afrique. Mais pas seulement. Il y a aussi un grand remplacement du haut par l’invasion des hauts postes de l’Etat, culturels ou médiatiques, d’un nombre considérable d’agents de l’étranger liés à des services secrets, tel que le Mossad ou la CIA.

Les Français, catholiques depuis mille cinq cents ans, sont écartés et invisibilisés par le haut et par le bas.

Les étrangers du bas comme ceux du haut importent en France leurs modèles culturels étrangers, ce qui provoque une crise d’identité.

C. Le mythe du sauveur chez Jung.

Carl Gustav Jung aborde la question du mythe du saveur à travers deux articles, l’un écrit en 1936, “Wotan” (1) et l’autre en 1947, “Après la catastrophe” (2). Ils ont été regroupés ensemble dans le livre “Aspects du drame contemporain“. Cela permet de comprendre les mécanismes psychologiques qui se joue dans le mythe du sauveur.

1. “Wotan” (1936).

L’article fut rédigé par le psychologue en 1936, alors qu’Adolf Hitler était au pouvoir depuis trois ans. C’est la période où le nazisme va tenter de se forger une bonne image. En effet, c’est à ce moment-là que vont avoir lieu les Jeux olympiques à Berlin. Jung va alors contredire cette bonne image que la propagande nazie essaye de se donner en apparence. Il va alors développer une analyse originale des mécanismes psychologiques qui lui ont permis d’accéder au pouvoir.

Certains passages de l’article sont prophétiques et annoncent ce qui va arriver.

Au milieu de son article, Jung jette cette formule à la figure de ses lecteurs comme un avertissement de ce qui va survenir. Un sombre avertissement qui ne sera lu et compris qu’une fois la catastrophe arrivée. Comme toujours.

L’orage a éclaté en Allemagne alors que nous croyons encore au beau temps.” (C. G. Jung, Wotan)

“Un orage a éclaté”, nous dit-il. Et cet orage qui a éclaté en Allemagne. Il porte un nom terrifiant sorti du plus profond de l’âme allemande.

L’instigateur des tempêtes a été appelé Wotan.” (C. G. Jung, Wotan)

Aujourd’hui, nous avons pris l’habitude de donner des noms aux tempêtes. Une pratique commerciale née aux États-Unis et reprise en Europe. Des gens riches achètent le droit de donner un nom à une tempête. Toujours des noms européens, jamais de noms africains, comme Mamadou ou Mouloud. Comme si, il n’y avait que des noms occidentaux et chrétiens qui provoquaient des catastrophes.

Jung va être un précurseur dans ce domaine, en attribuant un nom à la tempête née en Allemagne, en 1933. C’est une tempête, un orage psychique qui porte le nom du dieu germanique Wotan. Wotan correspond dans le monde scandinave à Odin. C’est un même personnage, mais dans deux cultures différentes.

Wotan-Odin, c’est le dieu suprême.

Son nom primitif était “wodinaz” ou “wodanaz” dont l’étymologie venait de “wodana“, ce qui signifiait “colère” ou “folie”. Cela donna les mots, “wods” (en colère) en Gothique, “wod” en vieil anglais et en allemand “wut” qui signifie “colère”.

De même, le nom scandinave Odin vient du vieux norrois “odr” qui veut dire “furieux” ou “fou”.

Pour comprendre les liens entre nazisme et le dieu Wotan, il faut lire le livre d’Arthur Goodrick-Clarke, “les racines occultes du nazisme” qui démontre que les mythologies scandinaves et germaniques sont des sources d’inspiration pour’Adolf Hitler.

Jung va donc en tirer les conclusions qui s’imposent.

Wotan, l’inlassable errant, le fauteur de troubles qui suscite, tantôt ici, tantôt là, querelles et disputes, ou exerce des effets magiques, avait tout d’abord été mué par le christianisme en une sorte de diable ; de son existence, il ne restait qu’un feu follet qui faisait parfois dans les nuits orageuses, sous les traits d’un chasseur fantôme accompagné de sa cohorte ; et cela, seulement au sein de traditions purement locales, de plus en plus assoupies.” (C. G. Jung, Wotan)

Wotan est un dieu qui crée des troubles, des conflits en raison de sa folie. Folie que l’on retrouve chez les chefs du National-socialisme. Il n’y aura personne pour le contester. J’ai montré dans le précédent article sur le conditionnement que le nazisme fondait son conditionnement sur l’instrumentalisation de la violence afin de conditionner le peuple.

Ce bruissement dans la forêt vierge de l’inconscient n’a pas été perçu seulement par les adolescents allemands, fêtant le solstice d’été (…) Wotan est un dieu des tempêtes et de l’effervescence ; il déchaîne les passions et les appétits combatifs ; c’est en outre un magicien et un illusionniste tout-puissant, qui a sa main dans tous les secrets de nature occulte.” (C. G. Jung, Wotan)

Carl Gustav Jung va ensuite expliquer que les dieux des anciennes mythologies sont en réalité des forces psychologiques cachées dans l’inconscient.

Mais, comme les dieux sont des personnifications indubitables de forces de l’âme, l’affirmation de leur existence métaphysique est tout autant une présomption de la raison que l’opinion qui prétend qu’ils pourraient être inventés de toutes pièces.(C. G. Jung, Wotan)

Carl Jung termine son article par ses propos prémonitoires.

Si nous appliquons avec conséquence nos considérations — singulières, avouons-le — il nous faudrait conclure que Wotan devrait extérioriser non seulement son caractère fébrile, agité, brutal et tempétueux, mais aussi sa nature toute différente, extatique et divinatoire. Si cette conclusion se vérifie, le national-socialisme ne serait pas, et de loin, le dernier mot ; il faudrait s’attendre, dans les prochaines années et décennies, à ce que surviennent des événements procédant d’arrière-plans obscurs, et desquels, d’ailleurs, nous pouvons encore mal nous faire une idée à l’heure actuelle.

Le réveil de Wotan est un recul et une régression ; le flot, se heurtant à un barrage venu l’obstruer, a de nouveau fait irruption dans son ancien lit. Mais l’accumulation des eaux ne peut durer éternellement ; elle constitue un « recul pour mieux sauter » et les flots finiront par déborder par-dessus l’obstacle. Alors se manifestera ce que Wotan « murmurait à la tête de Mimir ».

« Que murmure donc encore Wotan, ainsi à la tête de Mimir ? Déjà la source bouillonne ; la couronne de l’arbre du monde s’embrase aux sons éclatants du cor que Heimbold brandit en sonnant vigoureusement l’alarme »” (C. G. Jung, Wotan)

2. “Après la catastrophe” (1947).

Onze ans plus tard, après plusieurs millions de morts, le grand psychologue suisse revient sur son article “wotan” en reprenant ce qu’il avait écrit à la fin de celui-ci.

C’est la première fois, depuis 1936, que je prends la plume au sujet de l’Allemagne. À la fin de l’article que j’écrivis alors, Wotan, j’avais indiqué le caractère apocalyptique des événements qui se préparaient, en le terminant par cette citation, tirée de la Völuspa : « Que murmure donc encore Wotan, ainsi à la tête de Mimir ? » Depuis, le mythe s’est concrétisé et une grande partie de l’Europe gît en ruines.” (C. G. Jung, Après la catastrophe)

Il rédigeait cet article pour aider à la reconstruction du monde après la catastrophe qu’il avait prédite avec une telle justesse.

Avant de reconstruire, il s’agit de déblayer, ce qui exige réflexion et recueillement. On s’interroge sur le sens de la catastrophe, et des questions me furent personnellement adressées, auxquelles je dus, aussi bien que possible, m’efforcer de répondre. La diffusion uniquement orale se prêtant facilement aux interprétations mal fondées, je me suis décidé, non sans hésitations et appréhensions, à condenser dans un exposé l’essentiel de mes opinions.” (C. G. Jung, après la catastrophe)

Un travail de compréhension bien nécessaire pour éviter le retour d’une telle catastrophe sur la scène internationale.

Déjà bien avant 1933, quelque chose comme une odeur de roussi flottait dans l’air et on prenait un intérêt passionné à la découverte du foyer d’incendie et à celle de l’incendiaire. Puis, quand des fumées de plus en plus épaisses s’élevèrent au-dessus de l’Allemagne et que l’incendie du Reichstag eut donné le signal, on sut qui était l’incendiaire, l’incarnation vivante du Mal. Si effrayante qu’ait été cette découverte, elle n’en produisit pas moins, par la suite, une sorte de soulagement, celui de pouvoir désormais localiser avec précision le foyer de l’injustice et de se savoir de l’autre côté de la barricade, dans le camp des « honnêtes gens », dont l’indignation morale montait à des diapasons toujours plus élevés, en raison directe des monstruosités qui continuaient de s’amasser chez les autres. Dès lors, les justes virent dans l’incendie des villes allemandes un jugement de Dieu, et même l’appel aux exécutions massives ne rendit plus un son si aigre à leurs oreilles.” (C. G. Jung, Après la catastrophe)

J’invite les gens à aller lire l’article de Carl Gustav Jung, qui est remarquable sur plusieurs points que je ne traiterai pas ici. Il propose une analyse très intéressante de la pathologie psychiatrique dont souffrait Adolf Hitler, de l’importance chez lui et dans le mouvement nazi du couple complexe d’infériorité, complexe de supériorité. Il propose une étude très intéressante de ce qui a rendu possible l’adhésion de la population allemande au national-socialisme.

Il propose de revenir, avec plus de détail et de précision, sur le rôle de Wotan dans les horreurs du nazisme.

Il y a là un fait fondamental : l’homme est parvenu — pour la première fois depuis le fond des âges — à réintégrer en lui toute l’âme, primitivement diffusée dans la nature : non seulement les dieux sont descendus de leurs célestes demeures planétaires, ou plutôt ils en ont été déchus, pour se transformer, tout d’abord, en démons chtoniques, mais, en outre, la horde de leurs descendants qui, au temps d’un Parnasse, grouillait encore joyeusement dans les monts, les forêts, les eaux et jusque dans les habitats humains, toute cette cohorte s’est recroquevillée sous l’influence de la vague scientifique montante jusqu’à ce qu’il n’en reste plus que de misérables reliques, qui finirent elles-mêmes par s’évanouir.

Depuis des temps immémoriaux, la nature n’avait cessé d’être « animée ». Nous vivons aujourd’hui pour la première fois dans une nature exorcisée, privée d’âme et de dieux. Personne ne niera le rôle primordial qu’ont joué dans le passé ces puissances majeures de l’âme humaine, dénommées « dieux ».

Les rationalisations du « Siècle des Lumières » ont bien dépossédé la nature de ses dieux périmés, mais ont laissé en jachère les facteurs psychiques qui leur étaient liés, comme par exemple la suggestibilité, l’absence d’esprit critique, la crainte, le penchant à la superstition et aux préjugés, en bref, tous ces facteurs qui peuvent contribuer à faire d’un individu un « possédé » et se jouent de son âme. Quand la nature git devant nous, dépouillée de l’âme qui l’habitait, les facteurs et conditionnements psychiques qui créaient les démons auparavant demeurent encore tout aussi actifs qu’ils l’étaient.

Les démons, en réalité, n’ont pas pour autant disparu ; ils n’ont fait que changer de forme : ils sont maintenant devenus des puissances psychiques inconscientes.

Jung se lance dans des développements très intéressants sur la fonction psychologique des anciens dieux. Cela concerne également les religions plus classiques comme le Christianisme, le Judaïsme ou l’Islam de manière générale. Certains ont d’ailleurs reproché à Jung d’avoir une vision trop psychologique de la religion, concevant Dieu ou les dieux uniquement comme des puissances psychologiques. Cette critique n’est d’ailleurs pas par totalement fausse. Je suis moi-même jungien au niveau des grandes théories psychologiques, mais en y apportant quelques modifications. Nous pouvons arriver à la même conclusion que lui, mais en utilisant d’autres moyens.

Carl Gustav Jung présente dans cet article les dieux des vieilles mythologies comme des forces psychologiques qui correspondraient à des éléments de la nature que les hommes auraient divinisés. Chaque élément de la nature que l’homme aurait observé donnera naissance à un ou plusieurs dieux. Il y aura le dieu de la forêt, le dieu de la mer, le dieu du Soleil ou de la Lune.

Mais il est possible d’arriver au même phénomène en inversant les rôles.

Il y a des archétypes dans l’inconscient collectif. Ces archétypes vont prendre la forme de Dieux dans la conscience individuelle de chaque personne. Un lien psychologique va s’établir entre ces dieux-archétypes et des observations de phénomènes naturels.

Cela concerne les religions polythéistes comme les trois grands monothéismes, Judaïsme, Christianisme ou Islam.

Avec le développement de l’athéisme à partir du XVIIIe siècle, les dieux vont être rejetés dans l’Inconscient individuel.

Un dieu qui se trouve dans la conscience est un dieu contrôlé et socialisé. Lorsqu’il est expulsé dans l’inconscient, il devient incontrolable et archaïque. Cela va avoir de graves conséquences. Le dieu va alors se projeter sur le monde extérieur.

Ce à quoi l’Allemagne vient de nous faire assister n’est que la première explosion d’une aliénation mentale généralisée, une irruption de l’inconscient dans les sphères d’un monde en apparence passablement ordonné. Un peuple tout entier, et par là des millions d’êtres de toutes nationalités ont été entraînés dans la folie sanguinaire d’une guerre d’extermination. Personne ne savait ce qui lui arrivait et l’Allemand moins que les autres, lui qui, comme un mouton hypnotisé, se laissa mener à la boucherie par les psychopathes dont il avait fait ses chefs.

C’est comme cela que Wotan fut exclu vers l’inconscient individuel des Allemands, puis fut projeté sur Adolf Hitler. Hitler devient l’incarnation de Wotan pour les Allemands. Pour être accepté par le peuple, Hitler va décider d’incarner les caractéristiques de Wotan. C’est un point important à retenir. Pour que la projection d’un archétype fonctionne, celui qui la reçoit doit remplir un certain nombre de caractéristiques. Ce fut le cas pour Adolf Hitler qui s’évertua a faire référence à Wotan et aux dieux de la vieille mythologie germanique.

C’est le même phénomène qui intervient dans le mythe du sauveur.

Wotan, projeté sur Adolf Hitler transforma celui-ci en sauveur, pour le peuple. Un sauveur fou et psychopathe, mais un sauveur tout de même.

Il a oublié son christianisme, il a vendu son esprit à la technique, il a troqué sa morale contre du cynisme et il a consacré ses aspirations les plus hautes aux puissances de la destruction. Certes, qui donc n’a pas fait de même ?

Mais il est des êtres réellement élus qui doivent résister à l’entraînement général pour aspirer à des biens plus augustes. En tout cas, le peuple allemand n’est pas de ceux qui peuvent jouir impunément de la puissance et de la possession. Que l’on réfléchisse à ce que l’antisémitisme représente pour l’Allemand : il tente d’anéantir dans la personne d’autrui sa propre tare cardinale ! Ce seul symptôme aurait dû lui permettre de discerner dans quelle voie sans issue, sur quelle pente fatale il s’était fourvoyé.

Jung explique que c’est l’abandon du Christianisme par les Allemands qui a provoqué la catastrophe.

En effet, ce qui est important de bien comprendre, c’est que lorsque le Christianisme a remplacé les religions païennes, les fonctions psychologiques qui étaient gérées par les anciens dieux ont été récupérées par le culte chrétien. Il n’y a pas eu d’abandon dans l’inconscient des fonctions psychologiques. Ce qui a été abandonné, c’est le dieu Wotan lui-même. Les fonctions psychologiques qu’il occupait ont été réassignées sur d’autres éléments propres au culte chrétien. Il y a transmission d’un culte à l’autre. Cela a été très bien expliqué par des études historiques. Certains anciens dieux sont devenus des saints chrétiens. Des lieux vénérés par les Celtes ou les Germains sont devenus des églises ou des cathédrales.

Lorsque le Christianisme était puissant en Allemagne, il ne pouvait pas y avoir de catastrophe, car le Wotan qui se trouvait dans l’Inconscient était une enveloppe vide. Il avait été rendu inoffensif avec une rare habileté par les prêtres chrétiens.

Mais bientôt, l’athéisme triomphant emporta également dans l’Inconscient le Dieu chrétien à côté des dieux païens. Cette fois, cela ne pouvait qu déboucher sur une catastrophe, car on laissait en jachère des fonctions psychologiques importantes que des prêtres avaient pris grand soin de récupérer, il y a deux millénaires.

Munis de cet imposant bagage théorique, nous pouvons désormais étudier la mise en œuvre concrète du mythe politique du sauveur au vingtième siècle, en particulier à travers les trois grands régimes totalitaires d’Europe qui ont utilisé avec un rare génie ces ressorts psychologiques. Des techniques qui seront repris ultérieurement dans les prétendus régimes “démocratiques” occidentaux dans le cadre des campagnes électorales.

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