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L’invasion migratoire de la France et de l’Europe (2) : l’institutionnalisation (1973-1981).

Il existe tout un discours politique et médiatique pour nier l’organisation volontaire de l’invasion africaine de l’Europe et donc de la France.

Ce discours, on peut l’entendre à l’extrême gauche, que ce soit chez LFI, au PCF, au PS et chez les écologistes. C’est de l’anti-complotisme à l’envers dont la gauche est spécialiste. Il suffit de voir comment fonctionne l’officine de la CIA « Conspiracy Watch », dirigée par deux « idiots » issus du Parti socialiste, Tristan Mendès France et Rudy Reichstadt. Nier l’évidence. Contester des preuves pourtant abondantes qui existent. Il faut le faire.

En psychologie, on dit que l’on projette sur son interlocuteur ses propres problèmes. C’est le cas surtout avec l’accusation de complotisme. Comme une forme de réverbération en miroir, que n’aurait pas reniée le génial Jorge Luis Borges, les anti-complotistes sont victimes de leur propre dénonciation.

Plus étonnant (en apparence), il y a des échos de ce discours dans certaines branches de l’extrême droite, c’est-à-dire celle d’Alain Soral, sous l’influence de Youssef Hindi. Le gourou tente de convaincre ses adeptes que les musulmans n’ont aucun pouvoir et qu’ils ne l’ont jamais eu. Toujours à côté de la plaque, il tente de cacher certaines vérités essentielles.

Je m’attends à recevoir des messages d’insultes et des menaces de mort. Le soralisme a toujours charrié un certain nombre de gens peu recommandables. Le Christ disait que l’on jugeait un arbre à ses fruits. Les fruits du soralisme, je les connais que trop bien. Ils sont peu ragoûtants.

Ils sont le résultat de ce que je m’apprête à dénoncer dans cette partie et dans les suivantes.

Dans cet article, nous verrons dans un premier temps dans quelles conditions est né le dialogue euro-arabe (I), qui déboucha sur la très importante Déclaration de Strasbourg (II), dont nous verrons la mise en œuvre jusqu’au tournant de 1975 à 1981 (III).

I. L’initiation du dialogue euro-arabe (1973-1975).

L’invasion migratoire africaine, commencée en 1945, à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, va connaître un tournant décisif en 1973 avec la guerre du Kippour (A) et sa conséquence, le premier choc pétrolier (B). Ils vont pousser l’Occident européen à céder aux exigences du monde arabe en acceptant un changement dans l’immigration africaine (C). Cela constitue un tournant majeur dans l’histoire du Vieux Continent.

A. La guerre du Kippour (6 au 25 octobre 1973).

La guerre du Kippour (pour les Juifs) ou du ramadan (pour les musulmans) se déclenche le 6 octobre 1973 par une attaque de l’Égypte et de la Syrie, le jour du Yom Kippour.

L’attaque a lieu dans le Sinaï pour l’Égypte et dans le Golan pour la Syrie. Les deux territoires sont occupés par l’armée israélienne depuis la guerre des Six Jours de 1967.

Après une avancée des armées arabes dans les premiers jours de l’offensive, en raison de la surprise de l’attaque, Israël parvient à redresser la situation puis à occuper de vastes territoires en Égypte et en Syrie.
L’incapacité de prévoir l’attaque par le Mossad provoque un tremblement de terre politique qui débouche sur la démission de la Première ministre Golda Meir.

Avec l’intervention de l’URSS et des USA, le Conseil de sécurité de l’ONU demande la fin des combats, qui sera rapidement obtenue.

B. Le premier choc pétrolier (octobre 1973).

En riposte à la victoire de l’armée israélienne, les pays arabes producteurs de pétrole, à partir d’octobre 1973, vont provoquer le quadruplement du prix du pétrole.

Les pays arabes membres de l’OPEP se réunissent au Koweït, les 16 et 17 octobre 1973, pour réagir à la guerre du Kippour.

Ils classent les pays en trois catégories :

  • Amis : ceux qui critiquent Israël et exigent le retour aux frontières d’avant 1967 ;
  • Neutres ;
  • Ennemis : ce sont tous les pays qui se sont associés de près ou de loin avec Israël (ce qui concerne les pays européens et les USA).

Ils votent l’embargo total du pétrole pour les USA et les Pays-Bas. Ils augmentent également les prix pour les autres de 70 %.

Pour revenir à une situation normale, ils exigent la reconnaissance du peuple palestinien, jusqu’alors peu populaire en Europe.

Le ministre du Pétrole saoudien déclare le 26 novembre 1973 à la télévision française, dans l’émission Actuel 2 :

« Si vous ne changez pas votre politique [de soutien à Israël], l’Europe va souffrir. »

C. L’Occident cède aux exigences des pays arabes (1973).

La même crise pétrolière qui pousse l’Europe à fermer ses frontières va la contraindre également à ouvrir un nouveau chapitre de sa politique étrangère. C’est la naissance du dialogue euro-arabe. Il va être poussé par la France du président Georges Pompidou, de son Premier ministre Pierre Messmer et surtout de son ministre des Affaires étrangères Michel Jobert.

Pierre Messmer.
Michel Jobert.

Les objectifs de ce dialogue sont simples.

Sur le plan économique, il s’agit de sécuriser l’approvisionnement énergétique de l’Europe, de stabiliser les prix. D’autre part, il faut organiser l’arrivée et l’installation de travailleurs immigrés venus de pays musulmans vers l’Europe afin d’obtenir une main-d’œuvre à faible coût.

Sur le plan politique, l’ambition est de faire basculer l’Europe dans le camp palestinien, de faire en sorte que les États européens abandonnent la défense de l’État d’Israël.

C’est un échange donnant-donnant :

  • Les pays arabes vendent du pétrole à un prix raisonnable aux pays européens.
  • L’Europe s’engage à défendre la cause palestinienne et à accueillir une main-d’œuvre africaine en Europe.

Les négociations vont se dérouler dans le cadre d’un dialogue euro-arabe institutionnalisé au sein de commissions d’experts. Il y avait d’un côté l’Europe des Neuf et de l’autre la Ligue arabe.

Europe des Neuf.
Ligue arabe.

Au sixième sommet arabe d’Alger, du 26 au 28 novembre 1973, les États-Unis doivent infléchir leur politique jugée trop favorable à Israël, tout comme l’Europe occidentale et le Japon.

Le 18 mars 1974, l’OPEP est réunie à Vienne. Le dirigeant égyptien Sadate obtient la levée de l’embargo, à l’exception de la Libye et de la Syrie qui refusent de s’associer à cette décision.

II. La résolution de Strasbourg (1975).

Une réunion préparatoire a eu lieu à Damas entre le 12 et le 17 septembre 1974. On y adopta un certain nombre de résolutions culturelles que l’on retrouvera ensuite dans la résolution finale lors de la véritable réunion qui se déroula à Strasbourg les 7 et 8 juin 1975. Le document sera adopté à l’unanimité.

Du côté européen, il y aura plus de deux cents parlementaires issus du Parlement européen et de tendances politiques très diverses. À l’époque, l’Union européenne comprenait neuf pays membres.

Du côté arabe, le nombre de représentants n’est pas connu, mais ils étaient membres de la Ligue arabe.

L’objectif de la réunion était de promouvoir une coopération politique et économique plus étroite entre l’Europe et le monde arabe. Cette assemblée agit comme un groupe de pression et un forum de discussion en marge des canaux diplomatiques traditionnels.

Sur le plan juridique, la résolution de Strasbourg n’a aucune valeur contraignante. Il ne s’agit ni d’un traité, ni d’un protocole, mais d’une déclaration d’intention politique, une « expression d’une volonté politique conjointe » visant à établir des « relations spéciales ».

Son importance est ailleurs : elle agit comme un puissant catalyseur politique. Elle relève selon moi de la notion d’infra-droit dont parlait Danièle Loschak, car il n’y a aucun recours possible contre ce texte qui n’est pas censé exister juridiquement et qui va pourtant, comme nous allons le voir, régir la vie des citoyens français et européens.

En effet, il n’y a eu aucun débat public sur la politique migratoire en France. Aucune loi n’est votée, à l’exception de celle de 1945. La deuxième loi sur le sujet n’interviendra qu’en 1980, la loi Bonnet, une loi sans importance réelle, car tout a déjà été décidé ailleurs.

C’est un élément capital à comprendre en matière de politique, au-delà même du domaine des étrangers. Pour les sujets vraiment importants qui agissent concrètement sur la vie des citoyens, on ne passe jamais, ou presque jamais, par le domaine de la loi. Il faut éviter le débat public, car c’est trop dangereux et cela peut réveiller les soupçons de la population. Il y a les décrets et les circulaires (qui peuvent être contestés devant un juge). Mais il y a également le règne de l’infra-droit, comme le montra Danièle Loschak en mai 1976 dans son célèbre article « Observations sur un infra-droit », publié dans la revue Droit social (n° 5), p. 43-49.

Danièle Loschak, qui est une militante associative très favorable à l’immigration, dit cependant des choses intéressantes à ce sujet qu’il faut bien comprendre. Elle laisse entendre que « l’infra-droit » est un ensemble de pratiques administratives et bureaucratiques, de décisions de guichet, de circulaires, de modalités d’application qui ne relèvent pas du droit formel, c’est-à-dire qui ne sont pas directement codifiées ni soumises aux garanties judiciaires classiques. Ce sont des règles ou pratiques en dessous du droit « visible » ou « officiel ».

Ces infra-normes agissent dans l’espace où le droit des étrangers se met en œuvre dans les pratiques de l’administration, souvent sans qu’il y ait de recours facile ou de transparence. Elles relèvent de l’inachèvement ou des marges d’arbitraire de l’administration. C’est un domaine en expansion sous la Cinquième République. Il ne faut surtout pas le sous-estimer. Il ne concerne pas que le droit des étrangers.

En rendant public et en formalisant cette demande, à travers la déclaration de 1975, les parlementaires européens mettent la pression sur les gouvernements des États membres de la CEE et du Conseil de l’Europe. Ils les incitent à traduire cette volonté politique en actes juridiques concrets. Il y a un passage discret de l’infra-droit au droit positif.

Cette déclaration est un document capital pour l’histoire européenne. Elle va poser les bases de ce que nous vivons aujourd’hui. Le protocole de Strasbourg comporte trois grandes catégories de résolutions : les résolutions politiques (A), les résolutions économiques (B) et les résolutions culturelles (C).

A. Les résolutions politiques.

Les résolutions politiques concernent exclusivement la Palestine. Nous pouvons les regrouper en trois demandes principales : le retour d’Israël aux frontières d’avant 1967 (1), la reconnaissance de l’OLP comme seul interlocuteur (2) et la reconnaissance du droit du peuple palestinien à avoir un État (3). On le voit, dès 1975, les populations africaines qui viennent s’installer en Europe vont être liées à la cause palestinienne. Les événements actuels sur la montée du palestinisme et de son corollaire, l’antisémitisme, trouvent leurs racines dans la déclaration de Strasbourg.

1. Retour d’Israël aux frontières de 1967.

« L’Assemblée générale de l’Association parlementaire pour la coopération euro-arabe demande aux gouvernements européens de prendre l’initiative de démarches qui aideront à assurer le retrait d’Israël de tous les territoires occupés en 1967. »

L’Europe accepte d’agir en matière diplomatique pour pousser Israël à abandonner les territoires occupés en 1967, c’est-à-dire le Golan et le Sinaï.

Cela va se traduire par une première demande concrète :

« Premièrement, ils devraient demander à Israël d’arrêter immédiatement l’expropriation et la confiscation des biens arabes en Israël et dans les territoires occupés. En particulier, Israël doit mettre fin au processus de “judaïsation” de Jérusalem, qu’il a annexée illégalement, et à l’établissement de nouvelles colonies juives dans les territoires occupés. »

Israël doit cesser la confiscation des terres appartenant à des Arabes. C’est le processus de colonisation des territoires occupés à Gaza et en Cisjordanie.

Israël doit également arrêter le processus de « judaïsation » de Jérusalem, dont le territoire a été occupé en 1967.

2. Reconnaissance de l’OLP comme seul interlocuteur.

« Le monde arabe dans son entier s’est déjà mis d’accord sur le fait que l’Organisation de libération de la Palestine est le seul représentant de la nation palestinienne, et cette décision a été ratifiée par une écrasante majorité des pays représentés aux Nations unies. »

Les pays européens doivent reconnaître l’OLP de Yasser Arafat comme le seul et unique interlocuteur des Palestiniens, comme le seul représentant de la nation palestinienne.

« Deuxièmement, les gouvernements européens devraient essayer d’amener toutes les parties intéressées, y compris Israël et l’OLP, à la table de conférence, si possible dans le contexte de la Conférence de Genève. L’Europe elle-même, soit par l’entremise des États qui en font partie, soit par l’intermédiaire de la Communauté économique européenne, pourrait jouer un rôle utile dans une telle conférence si elle était invitée à y participer. Il serait raisonnable d’escompter qu’aucune des parties intéressées n’ait recours à une action militaire, de quelque sorte qu’elle soit, tant que durerait la négociation. »

Une fois l’OLP reconnue comme seul représentant de la Palestine, les pays européens devront amener Israël à accepter de discuter avec elle dans une conférence à Genève afin de trouver une solution aux problèmes entre les deux parties.

3. Reconnaissance du droit de la Palestine.

« L’Association souligne qu’il ne peut intervenir de règlement assurant une paix juste et durable sans que soient reconnus les droits nationaux du peuple palestinien. »

Le texte du protocole prévoit la reconnaissance par les gouvernements européens du droit du peuple palestinien à disposer d’un État, avec territoire et gouvernement. Mais le texte va plus loin dans une troisième demande :

« Troisièmement, ils devraient insister pour qu’Israël et l’OLP soient d’accord pour laisser de côté toute discussion sur les solutions finales afin de se concentrer sur la tâche immédiate et pratique consistant à s’efforcer de trouver un “modus vivendi” qui nécessiterait l’acceptation par Israël des droits de la nation palestinienne et de l’existence d’un État palestinien sur la rive ouest du Jourdain et à Gaza, dans le cas où les Palestiniens décideraient d’en créer un, et, réciproquement, l’acceptation de l’existence d’Israël dans ses frontières de 1967. »

Les négociations entre Israël et l’OLP devront aboutir à la création de deux États distincts : la Palestine et Israël. Chacun des deux États devrait reconnaître l’existence de l’autre.


B. Les résolutions économiques.

« L’Association réclame des gouvernements européens un aménagement des dispositions légales concernant la libre circulation et le respect des droits fondamentaux des travailleurs immigrés en Europe ; ces droits doivent être équivalents à ceux des citoyens nationaux. »

Ce passage du texte est capital. Il demande la liberté d’entrée en Europe des travailleurs immigrés (1) et la reconnaissance de droits égaux entre immigrés et nationaux (2).

1. Liberté d’entrée en Europe des travailleurs immigrés.

Il est inscrit dans la proclamation de Strasbourg que les pays européens devront accorder la liberté de circulation des travailleurs immigrés en Europe.

« L’Association réclame des gouvernements européens un aménagement des dispositions légales concernant la libre circulation et le respect des droits fondamentaux des travailleurs immigrés en Europe. »

Il ne s’agit ni plus ni moins que du recrutement de main-d’œuvre dans le monde arabe. Cela a été demandé par les Européens, en particulier par le Belge Tilij Declerc, le Luxembourg et la France.

2. Droits identiques entre nationaux et immigrés.

Les pays musulmans ont mis des conditions : accès à l’égalité totale de traitement (droits sociaux, politiques).

« Ces droits doivent être équivalents à ceux des citoyens nationaux. »

Les travailleurs immigrés auront les mêmes droits fondamentaux que les citoyens des pays européens.

C. Les résolutions culturelles.

Les résolutions culturelles du protocole de Strasbourg prévoient la mise en œuvre d’une propagande en faveur du monde arabe (1) et d’institutions en faveur du développement de la culture arabe en Europe (2).

1. Mise en place d’une propagande pro-arabe en Europe.

« L’Association parlementaire est consciente du problème posé par le fait que certains moyens d’information et certaines maisons d’édition en Europe montrent peu d’empressement pour diffuser les informations sur le monde arabe ; les membres de l’Association ont l’intention d’utiliser leur influence pour surmonter cette difficulté. »

Le protocole constate qu’en Europe le monde arabe est défavorisé dans le monde de l’édition et de la presse. Il souhaite que les membres de l’Assemblée et les gouvernements européens utilisent des moyens de pression pour faire la promotion du monde arabe en Europe en le présentant sous un aspect positif.
En gros, le protocole propose la mise en œuvre de techniques de propagande afin d’influencer la population pour l’amener à accepter l’arrivée massive de populations immigrées.

La suite du texte propose alors plusieurs techniques à mettre en œuvre : la reconnaissance de la contribution historique de la culture arabe dans la construction des pays européens (a), souligner l’apport culturel des pays arabes à l’Europe (b), développer l’enseignement de la culture arabe en Europe (c) et assurer un traitement médiatique positif de la culture arabe (d).

a. Rôle des pays arabes dans l’histoire de l’Europe.

« Reconnaissant la contribution historique de la culture arabe au développement européen ; »

Il s’agit de dire que l’islam est constitutif de la culture européenne. Il faut mettre en valeur les apports historiques de l’islam et du monde arabe à l’Occident. De même pour les populations arabes.

b. Apport culturel des pays arabes à l’Europe.

« Soulignant l’apport que les pays européens peuvent encore attendre de la culture arabe, notamment dans le domaine des valeurs humaines ; »

Dans la demande précédente, il s’agissait de montrer les apports passés, mais ici on se situe dans l’avenir. Ce sont les apports futurs de l’islam qu’il faut mettre en avant. Sans l’islam l’Europe ne pourra pas se développer.

c. Enseignement de la culture arabe en Europe.

« Regrettant le caractère d’exception de l’enseignement de la culture et de la langue arabes en Europe et souhaitant son développement ; »

« Demande aux gouvernements des Neuf d’aborder le secteur culturel du dialogue euro-arabe dans un esprit constructif et d’accorder une plus grande priorité à la diffusion de la culture arabe en Europe ; »

Les pays européens devront encourager l’enseignement de la culture arabe. Il s’agit d’encourager l’apprentissage de l’arabe, mais pas seulement. Il faut aussi apprendre l’islam comme religion et sa culture.

d. Traitement médiatique positif.

« Faisant appel au sens des responsabilités de la presse européenne afin qu’elle informe de façon objective et plus complète l’opinion publique sur les problèmes du monde arabe. »

La presse doit modifier son traitement de l’islam, qui doit être positif.

2. Développement d’un réseau institutionnel.

La proclamation de Strasbourg demande le développement des relations entre les pays européens et les pays d’Afrique ou d’Asie (a) et, concernant les travailleurs, le maintien de la culture d’origine (b), ainsi que le développement de groupes d’amitié et du tourisme (c).

a. Développement des relations inter-étatiques.

« Regrettant que les rapports culturels entre pays européens et pays arabes restent encore trop peu nombreux et limités dans leur esprit. »

Il faudra mettre en place une synergie culturelle entre l’Occident et le monde arabe, avec l’instauration d’instituts et de centres culturels dans toutes les capitales européennes.

Il faut également mettre en place des institutions afin d’accompagner l’arrivée et l’installation de travailleurs immigrés et de leurs familles, afin qu’ils gardent un contact avec leur pays et leur culture d’origine. Ils doivent pouvoir continuer de vivre selon leur culture d’origine.

b. Maintien de la culture d’origine.

« Souhaitant que les gouvernements européens facilitent aux pays arabes la création de larges moyens pour la participation des travailleurs immigrés et de leurs familles à la vie culturelle et religieuse arabe. »

Les populations immigrées des pays arabes auront le droit de venir avec leur culture et leurs familles en Europe. Il n’y a plus d’assimilation. C’est sur la base de ce passage que va se développer le regroupement familial.

c. Création de groupes d’amitié et développement du tourisme.

« Reconnaissant le rôle important que les groupes d’amitié et le tourisme peuvent jouer pour améliorer la compréhension mutuelle. »

La proclamation encourage la création de groupes d’amitié entre les pays européens et les pays arabes. Cela concerne la création de groupes d’amitié à l’Assemblée nationale ou au Sénat, mais également dans la société civile. Ces groupements existaient avant 1975. Il en est de même du jumelage entre villes africaines et françaises.

La plus ancienne association de jumelage franco-africain revient à Villeneuve-sur-Lot et Bouaké (1957). La notion de « jumelage de coopération » concerne Loudun et Ouagadougou (1967). Elles vont s’épanouir dans les années 1970-1990.

La proclamation encourage également le développement du tourisme des Européens vers les pays arabes. Cela va concerner surtout le Maroc et la Tunisie. Nous en reparlerons.

III. Mise en œuvre de la déclaration de Strasbourg (1975-1981).

La déclaration de Strasbourg sera mise en œuvre au fil des années et même des décennies, comme je vais tenter de vous le démontrer. Il s’agit selon moi de l’un des éléments les plus importants pour comprendre l’évolution des politiques étrangères (A) et intérieures (B) des pays européens. Il y a eu toutefois des tentatives de résistance (C).

A. Modification de la politique étrangère.

La déclaration de Strasbourg comporte deux domaines en matière de politique étrangère : la politique en faveur de la Palestine (1) et le développement du tourisme en Tunisie et au Maroc (2).

1. La Palestine.

La politique étrangère du côté de la Palestine va permettre une mise en relation entre la France et l’OLP (a) qui débouchera sur la déclaration de Venise en 1980 (b).

a. Contacts entre la France et l’OLP.

L’Organisation de libération de la Palestine (OLP) fut créée le 28 mai 1964 à Jérusalem. À partir de 1969, elle est dirigée par Yasser Arafat.

Yasser Arafat

Après la guerre du Kippour, le choc pétrolier et au moment des négociations de la déclaration de Strasbourg, l’OLP est admise par l’Assemblée générale de l’ONU comme membre observateur et comme « seul et légitime représentant du peuple palestinien ». C’est une première étape vers la reconnaissance internationale. Les USA et Israël s’y opposent, alors que les pays européens occidentaux vont s’abstenir.
Le 13 novembre 1974, Yasser Arafat prononce un discours devant l’Assemblée générale de l’ONU. À cette occasion, il déclare vouloir « la création en Palestine d’un État démocratique où chrétiens, juifs et musulmans pourront vivre dans la justice, l’égalité et la fraternité ».

La même année eut lieu une rencontre officieuse entre Jean Sauvagnargues, ministre des Affaires étrangères, et Yasser Arafat. Cette rencontre est considérée comme le point de départ des relations officielles entre la France et l’OLP.

Jean Sauvagnargues

Le 31 octobre 1975, le gouvernement français de Jacques Chirac et le président Valéry Giscard d’Estaing autorisent l’OLP à ouvrir à Paris un « bureau d’information et de liaison ». La décision n’accorde aucun statut diplomatique (donc pas d’immunités) aux représentants de l’OLP. C’est une reconnaissance semi-officielle de l’organisation par un service d’information et de liaison.

Le bureau est dirigé par le représentant de l’OLP à Paris, Ezzedine Kalak. Il est situé à l’intérieur de la délégation de la Ligue arabe, boulevard Haussmann. Ezzedine Kalak a été nommé après l’assassinat à Paris de son prédécesseur Mahmoud Hamchari le 8 décembre 1972 (attentat organisé par le Mossad). Il mourra de ses blessures le 9 janvier 1973.

Le 3 août 1978, Ezzedine Kalak est assassiné dans les locaux du bureau, boulevard Haussmann, par deux membres liés à l’organisation Abou Nidal (Fatah-Conseil révolutionnaire).

b. Déclaration de Venise (1980).

La déclaration de Venise est un texte fondateur de la « position européenne » sur le conflit israélo-arabe et la cause palestinienne. Elle a été adoptée par les Neuf (États membres de la Communauté européenne en 1980) au terme du Conseil européen de Venise des 12 et 13 juin 1980.

« Les chefs d’État et de gouvernement ainsi que les ministres des Affaires étrangères ont procédé à un échange de vues approfondi sur tous les aspects de la situation actuelle au Moyen-Orient, y compris l’état des négociations résultant des accords signés entre l’Égypte et Israël en mars 1979. Ils ont convenu que les tensions croissantes affectant cette région constituent un danger grave et rendent une solution globale au conflit israélo-arabe plus nécessaire et plus pressante que jamais. »

Les Européens entendent formuler une approche globale du conflit proche-oriental et affirmer un rôle autonome par rapport à l’initiative américano-égypto-israélienne de Camp David (1979).

« Sur les bases ainsi définies, le moment est venu de promouvoir la reconnaissance et la mise en œuvre de deux principes universellement acceptés par la communauté internationale : le droit à l’existence et à la sécurité de tous les États de la région, y compris Israël, et la justice pour tous les peuples, ce qui implique la reconnaissance des droits légitimes du peuple palestinien. »

Dans son quatrième paragraphe, la déclaration pose deux principes :

  • Droit à l’existence et à la sécurité pour tous les États de la région (y compris Israël).
  • Justice pour tous les peuples, impliquant la reconnaissance des droits légitimes du peuple palestinien.

Nous trouvons une influence très nette de la déclaration de Strasbourg de 1975 sur celle de Venise en 1980.

En 1975, il y a trois demandes :

  • Le retour d’Israël aux frontières d’avant 1967 (b-1).
  • La reconnaissance de l’OLP comme seul interlocuteur (b-2).
  • La reconnaissance du droit du peuple palestinien d’avoir un État (b-3).

Il est également question du statut de Jérusalem (b-4).

En 1980, la déclaration de Strasbourg devient la politique officielle de l’Union européenne.

b-1. Le retour aux frontières de 1967.

Au neuvième paragraphe, l’Union européenne demande le retour aux frontières de 1967 :

« Les Neuf soulignent la nécessité pour Israël de mettre fin à l’occupation territoriale qu’il maintient depuis le conflit de 1967, comme cela a été fait pour une partie du Sinaï. Ils sont profondément convaincus que les implantations (colonies) israéliennes constituent un obstacle sérieux au processus de paix au Moyen-Orient. Les Neuf considèrent que ces implantations, ainsi que les modifications de population et de propriété dans les territoires arabes occupés, sont illégales au regard du droit international. »

L’Union européenne proclame que les colonies israéliennes en Palestine sont un obstacle sérieux au processus de paix et sont illégales en droit international.

Cela reprend presque mot pour mot la déclaration de Strasbourg :

Déclaration de Strasbourg (1975) :

« l’acceptation de l’existence d’Israël dans ses frontières de 1967. »

Déclaration de Venise (1980) :

« Les Neuf soulignent la nécessité pour Israël de mettre fin à l’occupation territoriale qu’il maintient depuis le conflit de 1967, comme cela a été fait pour une partie du Sinaï. »

Et encore, concernant les colonies :

Strasbourg (1975) :

« Israël doit mettre fin (…) à l’établissement de nouvelles colonies juives dans les territoires occupés. »

Venise (1980) :

« Les Neuf [les] considèrent […] illégales au regard du droit international. »

b-2. Reconnaissance de l’OLP.

Le septième paragraphe reconnaît l’OLP comme devant être associée aux négociations :

« La réalisation de ces objectifs exige l’implication et le soutien de toutes les parties concernées par le règlement de paix que les Neuf s’emploient à promouvoir conformément aux principes formulés dans la déclaration mentionnée ci-dessus. Ces principes s’appliquent à l’ensemble des parties concernées, et donc au peuple palestinien, ainsi qu’à l’OLP, qui devra être associée aux négociations. »

Le texte proclame que l’OLP doit participer aux négociations de paix avec Israël. Cela reprend la logique de Strasbourg :

Strasbourg (1975) :

« Le monde arabe dans son entier s’est déjà mis d’accord sur le fait que l’Organisation de libération de la Palestine est le seul représentant de la nation palestinienne. »

« [Les] gouvernements européens devraient essayer d’amener toutes les parties intéressées, y compris Israël et l’OLP, à la table de conférence […]. »

Venise (1980) :

« […] l’OLP […] devra être associée aux négociations. »

b-3. Autodétermination de la Palestine.

Dans son quatrième paragraphe, la déclaration demande l’autodétermination de la Palestine :

« Sur les bases ainsi définies, le moment est venu de promouvoir la reconnaissance et la mise en œuvre de deux principes universellement acceptés par la communauté internationale : le droit à l’existence et à la sécurité de tous les États de la région, y compris Israël, et la justice pour tous les peuples, ce qui implique la reconnaissance des droits légitimes du peuple palestinien. »

La comparaison des deux proclamations permet de comprendre l’influence de 1975 sur 1980 :

Strasbourg (1975) :

« […] qui nécessiterait l’acceptation par Israël des droits de la nation palestinienne et de l’existence d’un État palestinien sur la rive ouest du Jourdain et à Gaza, dans le cas où les Palestiniens décideraient d’en créer un.»

Venise (1980) :

« […] la justice pour tous les peuples, ce qui implique la reconnaissance des droits légitimes du peuple palestinien. »

b-4. Le statut de Jérusalem.

Enfin, la résolution de Venise parle du statut de Jérusalem :

« Les Neuf reconnaissent l’importance particulière du rôle joué par la question de Jérusalem pour toutes les parties concernées. Les Neuf soulignent qu’ils n’accepteront aucune initiative unilatérale visant à modifier le statut de Jérusalem et que tout accord sur le statut de la ville devrait garantir à chacun la liberté d’accès aux Lieux saints. »

Les Européens demandent à Israël de ne pas prendre d’initiative unilatérale sur le statut de Jérusalem. L’accès aux Lieux saints doit être garanti. Cela reprend ce que disait la proclamation de Strasbourg de 1975 :

Strasbourg (1975) :

« En particulier, Israël doit mettre fin au processus de “judaïsation” de Jérusalem, qu’il a annexée illégalement, et à l’établissement de nouvelles colonies juives dans les territoires occupés. »

Venise (1980) :

« Les Neuf soulignent qu’ils n’accepteront aucune initiative unilatérale visant à modifier le statut de Jérusalem […] et [qu’]il devrait garantir à chacun la liberté d’accès aux Lieux saints. »

2. Le développement du tourisme vers l’Afrique.

Curieusement, la proclamation de Strasbourg de 1975 va demander le développement du tourisme occidental en Afrique. Cela va permettre de créer des liens entre l’Europe et l’Afrique : des liens d’amitié, de fraternité. Aller en vacances dans un pays permet de comprendre la culture de l’autre, de la connaître et donc de favoriser la fraternité entre les peuples. C’est un mécanisme assez efficace qui sera surtout mis en œuvre au Maroc (a) et en Tunisie (b). Le film « Les Bronzés » rendra populaire ce type de vacances (c).

a. Maroc.

Après le séisme du 29 février 1960 à Agadir, la ville va être transformée en pôle balnéaire moderne. Un Club Med va y installer un village de vacances en 1965. Un autre village sera installé en 1970 à Yasmina.

Club Med, Agadir, années 60-70.

Les touristes allaient déjà en vacances au Maroc avant 1975. Ce que va changer la proclamation, c’est la massification de ce type de tourisme : une arrivée massive de population. C’est une révolution qui commence à cette époque et se développera ensuite.

Les touristes passent de 852 000 en 1970 à 1 546 000 en 1978, soit une augmentation de 81 % en huit ans, selon les chiffres officiels du ministère du Tourisme marocain.

b. Tunisie.

Un premier village de vacances uniquement en été s’installe en 1953, en Tunisie, à Djerba, suivi en 1971 du village de vacances permanent Djerba La Douce.

En Tunisie, dans les années soixante-dix et quatre-vingt, le nombre d’établissements d’hébergement va doubler et la capacité en lits va tripler. Environ 80 % des arrivées de touristes concernent les groupes, c’est-à-dire les forfaits. C’est le développement d’un modèle de vacances particulier que l’on appelle forfait « soleil–mer ».

Les arrivées de visiteurs étrangers atteignent 1,1 million en 1978, avec une croissance annuelle moyenne de 13 % sur 1970-1978. C’est une performance supérieure à la moyenne méditerranéenne.

La Tunisie va créer Port El Kantaoui à Sousse, avec un port de plaisance et un golf sur le front de mer. Il sera inauguré en 1979. Il va constituer l’archétype du centre de vacances, qui sera ensuite répliqué dans le reste de l’Afrique.

Port El-Kantaoui

c. « Les bronzés » (1978).

Un film va cristalliser cet aspect de la politique africaine de la France dans son versant touristique : « Les Bronzés », sorti en salle en 1978, qui va devenir un véritable phénomène de société au-delà du cinéma.
Il ne se déroule ni au Maroc ni en Tunisie, mais en Côte d’Ivoire, dans le village de vacances d’Assinie–Assouindé.

Comme nous l’avons vu, le film arrive après plus de vingt ans d’implantation africaine. Il intervient au moment exact où le tourisme « forfaitaire » se massifie et il le fait entrer dans la culture populaire. Le film enregistre et popularise un phénomène déjà bien installé : le séjour tout compris animé par des G.O. (Gentils Organisateurs) et consommé par les classes moyennes européennes au soleil africain. Il n’inaugure pas l’implantation africaine ; il en devient l’icône dans la culture de masse française. C’est là son rôle.

Le film a amplifié, dans l’imaginaire populaire français, le modèle « club de vacances » au soleil africain (style Club Med), et cette mise en visibilité va dans le sens des objectifs énoncés à Strasbourg en 1975, qui soulignaient explicitement « le rôle important que le tourisme (…) peut jouer pour améliorer la compréhension mutuelle ».

Le film se déroule en Côte d’Ivoire, en Afrique de l’Ouest, alors que la cible institutionnelle immédiate de 1975 touche surtout l’Afrique du Nord. Mais l’imaginaire « soleil africain à 3 à 5 h de vol » rejaillit aussi sur le Maroc et la Tunisie, destinations déjà industrialisées.

L’année suivante, « Les Bronzés font du ski » va tenter de faire la promotion d’un autre type de vacances très différent, celui des stations de ski dans les Alpes. Cela ne relève pas du protocole de Strasbourg.

B. Modification de la politique intérieure.

La justice et le gouvernement de Jacques Chirac vont assurer la mise en œuvre des dispositions du protocole de Strasbourg. C’est d’abord l’encouragement d’une immigration de peuplement (1) et la signature de la convention sur le droit des travailleurs immigrés (2), et enfin un traitement médiatique différent de l’immigration africaine dans les médias (3).

1. Développement d’une immigration de peuplement.

Les circulaires de 1974 (a) suspendant l’immigration de travail et le décret de 1976 (b) instaurant le regroupement familial ont eu des conséquences profondes sur l’histoire de France, dont certaines sont paradoxales.

Il y aura trois conséquences majeures :

  • La fin de l’immigration de travail : elle met un terme à près de trente ans de politique active de recrutement de main-d’œuvre, notamment en provenance d’Afrique.
  • L’essor du regroupement familial : la suspension de l’immigration de travail fait du regroupement familial la principale voie d’entrée légale en France. De nombreux travailleurs immigrés, réalisant qu’ils ne pourraient plus faire d’allers-retours aussi facilement, font venir leur famille pour s’installer définitivement.
  • La transformation d’une immigration de travail en immigration de peuplement : conséquence directe du point précédent, une immigration majoritairement masculine et pensée comme temporaire se transforme progressivement en une immigration familiale et permanente, avec l’installation durable de familles étrangères sur le territoire français. Ce droit au regroupement familial sera d’ailleurs consacré comme un « principe général du droit » par le Conseil d’État en 1978, empêchant le gouvernement de revenir dessus par décret.

Les deux décisions ont été prises par le gouvernement de Jacques Chirac. Ne jamais oublier que c’est à son époque qu’a été signée la déclaration de Strasbourg.

a. Les circulaires de 1974.

Le Conseil des ministres du 3 juillet 1974 va prendre plusieurs décisions qui donneront naissance à deux circulaires :

  • La circulaire du 5 juillet 1974 : rédigée par la Direction de la population et des migrations (DPM) du ministère du Travail et adressée aux préfets. C’est le texte d’application principal.
  • La circulaire du 9 juillet 1974 : elle vient préciser la première, notamment en suspendant l’entrée des familles (cette mesure sera annulée en 1975).

Ces circulaires ont été préparées sous l’autorité d’André Postel-Vinay, premier titulaire du nouveau Secrétariat d’État aux Travailleurs immigrés.

La circulaire donnait des instructions très claires aux administrations concernées :

  • À l’ONI : il était demandé de suspendre le traitement des dossiers des nouveaux travailleurs.
  • Aux préfectures : ordre de ne plus délivrer d’autorisation de travail initiale aux étrangers qui n’étaient pas déjà sur le territoire et en situation régulière.
  • Aux postes diplomatiques et consulaires : cesser de délivrer les visas nécessaires à l’entrée en France pour motif de travail.

L’instruction était donc simple et directe : un arrêt total et immédiat du processus légal d’immigration de main-d’œuvre.

Le communiqué du Conseil des ministres du 3 juillet 1974 dit que « le Conseil a décidé d’interrompre jusqu’en automne l’arrivée de nouveaux travailleurs étrangers afin de faire le point sur cette question ».

En pratique, l’immigration de travail reste fortement restreinte après l’automne 1974. Les données montrent une baisse significative des entrées : 132 500 travailleurs et familles en 1974 contre 194 000 en 1972, soit une baisse de 32 %.

Après les circulaires de 1974, l’immigration de travail ne reprend pas à grande échelle. Les sources indiquent que la suspension, bien que « provisoire », est maintenue, avec des exceptions limitées : travailleurs saisonniers ; autorisations maintenues pour des secteurs comme l’agriculture (ex. : vendanges) ; et, dans des secteurs spécifiques, certains métiers en tension (ex. : bâtiment, santé) continuent d’accueillir des travailleurs étrangers, mais sous contrôle strict.

Les années suivantes montrent une domination du regroupement familial, représentant environ 40 % des entrées légales dans les années 1980 (« French immigration policy since May 1981 », PubMed).
Il n’y a pas eu de recours contre la circulaire de suspension de l’immigration de travail, mais un recours contre celle suspendant le droit au regroupement familial.

Nous sommes avant la déclaration de Strasbourg. Les autorités négocient avec les pays de la Ligue arabe l’ouverture de la France à l’arrivée massive de l’immigration africaine, mais la déclaration n’a pas encore été adoptée. Elle interviendra environ un an plus tard. C’est pour cela que le pouvoir peut encore tenter de limiter timidement l’arrivée de travailleurs immigrés.

b. Le décret du 29 avril 1976.

Le tournant de 1974, en suspendant l’immigration de travail, a paradoxalement accéléré le regroupement familial. Les travailleurs, ne pouvant plus faire d’allers-retours entre deux contrats de travail, ont cherché à se stabiliser en faisant venir leur famille.

« Souhaitant que les gouvernements européens facilitent aux pays arabes la création de larges moyens pour la participation des travailleurs immigrants et de leurs familles à la vie culturelle et religieuse arabe. »

C’est pour cela que le gouvernement de Jacques Chirac décide de lever l’interdiction, pour les immigrés présents en France, de faire venir leur famille, par le décret du 29 avril 1976.

Ce texte est fondamental, car il réglemente pour la première fois de manière claire le droit au regroupement familial pour les étrangers.

Il est soumis à un certain nombre de conditions :

  • Résidence : le demandeur doit justifier d’une résidence régulière en France d’au moins un an.
  • Ressources : il doit disposer de ressources stables et suffisantes, au moins équivalentes au SMIC.
  • Logement : il doit disposer d’un logement jugé normal pour une famille de taille comparable dans la même région.
  • Ordre public et santé : la famille ne doit pas constituer une menace pour l’ordre public et doit se soumettre à un contrôle médical.

Cependant, ce décret a explicitement exclu les familles algériennes, qui sont restées soumises au régime plus contraignant des accords bilatéraux. En effet, l’accord franco-algérien de 1968 rend obligatoire le certificat de logement avant toute installation et institue le certificat de résidence, équivalent de la carte de séjour. Sans ce sésame, les familles étaient considérées en situation irrégulière et donc expulsables.

2. Convention européenne sur les travailleurs migrants (1977).

La Convention européenne sur le statut juridique du travailleur migrant fut adoptée le 24 novembre 1977 dans le cadre du Conseil de l’Europe.

Dans ce contexte, cette convention, dont l’élaboration avait été engagée dès 1966 mais progressait avec une « lenteur particulière », va servir d’instrument juridique pour faire entrer dans le droit positif la résolution de Strasbourg. Elle va fournir l’élan nécessaire pour finaliser la convention européenne.

Ouverte à la signature le 24 novembre 1977, elle n’est entrée en vigueur que le 1er mai 1983. En juin 2024, elle ne compte que onze ratifications. Des pays d’immigration majeurs comme l’Allemagne, la Belgique ou le Luxembourg l’ont signée mais jamais ratifiée, tandis que le Royaume-Uni ou la Suisse ne l’ont même pas signée.

La France a signé la convention le 29 avril 1982 et l’a ratifiée le 22 septembre 1983, permettant son entrée en vigueur sur le territoire national le 1er décembre 1983. Ce calendrier, près de cinq ans après l’ouverture à la signature, n’est pas anodin. Le rapport du Sénat français de 1983, rédigé en vue de l’autorisation de ratification, est une source précieuse pour comprendre ce délai. Il explique que le retard n’était pas dû à un « problème technique secondaire », mais à une option politique du gouvernement précédent. L’arrivée au pouvoir en 1981 d’un gouvernement de gauche, plus sensible aux questions des droits des immigrés, a donc été le facteur décisif qui a débloqué le processus. La ratification s’inscrivait dans un mouvement plus large de régularisation des travailleurs sans-papiers et d’affirmation d’une politique d’intégration.

Il est également à noter que la France a accompagné sa ratification d’une réserve concernant l’article 18, relatif à la sécurité sociale. Cette réserve indique une volonté de ne pas être liée par toutes les dispositions du traité et de préserver la spécificité de son système de protection sociale, illustrant la prudence des États même lorsqu’ils décident d’adhérer à un tel traité.

a. Définition du « travailleur migrant » (article 1).

L’article 1er de la Convention définit le « travailleur migrant » comme « le ressortissant d’une Partie contractante qui a été autorisé par une autre Partie contractante à séjourner sur son territoire pour y occuper un emploi salarié ».

Cette définition est fondamentale, car elle délimite précisément le champ d’application personnel du traité.
Deux éléments clés ressortent :

  • Premièrement, la condition de régularité : le travailleur doit avoir été « autorisé » à séjourner et à travailler. La Convention ne s’applique donc pas aux travailleurs en situation irrégulière.
  • Deuxièmement, la Convention prévoit une liste d’exclusions : les travailleurs frontaliers, les travailleurs saisonniers, les artistes et sportifs engagés pour une courte durée, les gens de mer, les stagiaires et les personnes exerçant une profession libérale.

On voit que ce que vise la Convention, c’est le travailleur immigré venu d’un pays d’Afrique pour travailler et s’installer « définitivement » (puisque cela ne vise pas le travail saisonnier). Cela correspond presque exactement à la demande du protocole de Strasbourg de 1975, c’est-à-dire favoriser l’arrivée d’une immigration de travail et de peuplement venue d’Afrique ou d’Asie.

« L’Association réclame des gouvernements européens un aménagement des dispositions légales concernant la libre circulation et le respect des droits fondamentaux des travailleurs immigrés en Europe ; ces droits doivent être équivalents à ceux des citoyens nationaux. » (Protocole de Strasbourg de 1975)

On peut d’ailleurs s’étonner de la liste des exclusions : professions libérales, sportifs, artistes, travailleurs saisonniers. Ces personnes n’auraient-elles pas droit à la protection d’une convention internationale comme les autres ?

b. Les principes directeurs.

Le préambule et les dispositions générales de la Convention sont guidés par deux principes essentiels : le premier est le principe de non-discrimination et d’égalité de traitement (b-1) et le deuxième est la clause d’application du droit le plus favorable (b-2).

b-1. Le principe de non-discrimination et d’égalité de traitement.

L’objectif affiché est d’assurer aux travailleurs migrants un traitement « qui ne soit pas moins favorable que celui dont bénéficient les travailleurs nationaux » en ce qui concerne les conditions de vie et de travail.
Ce principe irrigue l’ensemble du texte, notamment en matière de logement (article 13), de conditions de travail (article 15), de sécurité sociale (article 18) ou de droits syndicaux (article 28).

Le protocole de Strasbourg prévoit explicitement que les droits des travailleurs immigrés soient équivalents à ceux des nationaux (« le respect des droits fondamentaux des travailleurs immigrés en Europe ; ces droits doivent être équivalents à ceux des citoyens nationaux »).

b-2. La clause d’application du droit le plus favorable.

L’article 31 stipule que la Convention ne porte pas atteinte aux droits ou avantages plus favorables accordés aux travailleurs migrants en vertu de la législation nationale de l’État d’accueil ou d’accords bilatéraux ou multilatéraux.

Ce principe est crucial, car il positionne la Convention comme un socle de droits minimums. La Convention ne doit pas conduire à une régression de droits pour les immigrés.

c. Le regroupement familial.

L’article 12 consacre le droit au regroupement familial pour le conjoint et les enfants mineurs à charge.
Ce droit, central dans la stabilisation des populations immigrées, est cependant assorti de conditions : le travailleur migrant doit disposer d’un logement jugé « convenable » pour sa famille et de ressources suffisantes pour subvenir à ses besoins.

Dans le protocole de Strasbourg de 1975, il est reconnu le droit aux travailleurs immigrés de maintenir leurs liens avec leur famille (« Souhaitant que les gouvernements européens facilitent aux pays arabes la création de larges moyens pour la participation des travailleurs immigrants et de leurs familles à la vie culturelle et religieuse arabe. »).

d. Les conditions de vie et de travail.

La Convention énumère une série de droits visant à rapprocher le statut du travailleur migrant de celui du travailleur national : le logement (d1), la formation (d2), la sécurité sociale, la fiscalité (d3), les droits syndicaux et la participation (d4).

d-1. Le logement (article 13).

Égalité de traitement pour l’accès au logement et le montant des loyers.

d-2. La formation (article 14).

Accès à l’enseignement général et professionnel, à la formation linguistique et à la rééducation professionnelle.

d-3. Sécurité sociale (article 18) et fiscalité (article 19).

Le principe d’égalité de traitement en matière de sécurité sociale est affirmé.

La Convention encourage également la conclusion d’accords bilatéraux pour éviter la double imposition des revenus.

d-4. Droits syndicaux (article 28) et participation (article 29).

Le texte reconnaît explicitement le libre exercice du droit syndical dans les mêmes conditions que les nationaux et facilite la participation des migrants à la vie de l’entreprise.

3. Traitement de l’immigration africaine dans les médias et la culture.

Au niveau médiatique et culturel, on observe bien une rupture en 1975 dans la manière de traiter les travailleurs immigrés venus d’Afrique.

Avant 1975, le travailleur immigré est invisible comme sujet culturel. Il est représenté uniquement comme un ouvrier ou comme une figure folklorique (a).

Après 1975, et surtout dans les années 1980-1990 (dont nous parlerons dans le prochain article), on observe un basculement avec l’émergence d’une culture issue de l’immigration, reconnue dans l’espace public à travers la musique, le cinéma ou la télévision (b).

a. Les immigrés dans les médias avant 1975.

Le visionnage des documentaires de l’INA est très intéressant, car il permet de comprendre les bouleversements qui se sont produits entre les années soixante et quatre-vingt. Ils sont le reflet d’une époque de grands changements dont nous vivons encore les conséquences de nos jours.

Ils mettent en avant un double narratif :

  • la modernisation technique : automatisation, nouveaux matériels, rationalisation du travail (a-1) ;
  • en arrière-plan, la mutation sociologique du personnel : arrivée massive d’ouvriers immigrés (a-2).

Ils sont le symptôme d’une société qui change.

Dans presque chaque documentaire de cette époque (1965-1975), on retrouve un scénario implicite :

  • ancien métier « français » remplacé par l’automatisation et le recours aux travailleurs immigrés pour le reliquat de tâches pénibles qui ne peuvent pas être robotisées ;
  • la machine est filmée comme un progrès, mais aussi comme symbole de substitution. Elle « remplace » une partie des emplois français, ceux des autochtones. Ce qui reste est assumé par des travailleurs immigrés ;
  • l’ouvrier immigré est rarement nommé individuellement : il est filmé comme une figure collective du travail subalterne et invisible.

Avant 1975, les travailleurs immigrés apparaissent en creux, dans des sujets « infrastructurels » sur la RATP, la SNCF ou la collecte des ordures ménagères. C’est le cas d’un reportage du 26 septembre 1965 diffusé dans l’émission « Soixante millions de Français ». Il est intitulé « Que faire des déchets à Paris ? ».

Tout en abordant la technique de récupération et de traitement des ordures ménagères, on aperçoit des éboueurs et des gens qui nettoient les rues. Ce sont des travailleurs étrangers. Le journaliste ne leur pose aucune question, ne donne ni leurs noms ni leurs nationalités.

On se contente de montrer sans nommer.

Puis, plus tard, l’immigration est traitée via le social, c’est-à-dire le foyer où ils logent, leurs précarités, leurs solitudes sentimentales et leurs vies économiques difficiles. C’est le cas dans deux documentaires diffusés en 1972.

Un reportage diffusé le 28 avril 1972 dans l’émission « Le Troisième Œil » sur la vie au quotidien d’un travailleur algérien, intitulé « La vie d’Amar, immigré algérien en France ».

Un autre reportage diffusé le 7 mars 1972, « La vie des immigrés à Paris », montre la vie quotidienne dans un bidonville au cœur de Paris.

Ces deux documents évoquent le rôle des travailleurs immigrés dans le fonctionnement de l’économie, tout en montrant le rejet que cela provoque dans la population française. Est également évoqué l’islam à travers la présentation rapide d’une mosquée. On parle rarement de sa vie culturelle ou de sa religion.

a-1. La modernisation technique.

Cette modernisation technique a été anticipée de manière prémonitoire par trois génies.

Ce fut d’abord Georges Bernanos en 1947 avec « La France contre les robots », dans lequel il anticipe une mécanisation de la société et en prévoit les risques.

Ce fut ensuite Jacques Ellul, qui dénonça le « système technicien » : en 1954 avec « La Technique ou l’enjeu du siècle« , puis en 1977 avec « Le Système technicien ».

Ce fut enfin le génial cinéma de Jacques Tati. Tati capte avant tout le monde la mise sous verre du monde à travers l’automatisation, la transparence, les dispositifs qui rationalisent les gestes mais assèchent le lien.

Dans « Mon Oncle » (1958), il réalise une satire de la maison-machine. La villa Arpel, avec sa fontaine-poisson « on/off », son jardin géométrique, sa cuisine automatisée, incarne une modernité ostentatoire, froide et dysfonctionnelle, opposée au monde chaleureux des rues populaires que Hulot arpente. À travers une comédie, il critique l’automatisation d’une modernité qui déshumanise.

Avec « Playtime » (1967), Jacques Tati met en scène « Tativille », une ville de verre et d’acier à la géométrie rationnelle : open-spaces, salons d’exposition, aéroport, circulation fléchée, écrans et reflets. C’est une architecture de la transparence qui isole les individus au lieu de les relier. Le film orchestre l’échec comique des dispositifs modernistes (panneaux, gadgets, mobilier) jusqu’à la séquence « Royal Garden », où la panne générale rétablit improvisation, sociabilité, musique. C’est le moment où le monde se réhumanise grâce au chaos.

Or, justement, c’est entre 1965 et 1977 que va se produire un bouleversement technologique dans la région parisienne, puis dans le reste du pays. Nous voyons l’apparition de la robotisation et de l’automatisation des tâches, un phénomène qui provoque la disparition d’un grand nombre d’emplois. Jamais la capitale de la France n’avait connu un tel phénomène depuis les grands travaux du baron Haussmann.

La télévision, par un certain nombre de reportages, va documenter ce changement. Par exemple, on découvre dans un reportage de l’INA diffusé le 25 avril 1971 sous le titre « Que restera-t-il de Paris ? » les impressionnants travaux de rénovation urbaine en région Île-de-France. L’automatisation permet la massification.

À la RATP, les reportages de la télévision française montrent ce bouleversement technologique à travers la disparition progressive des poinçonneurs entre 1969 et 1973, pour les remplacer par des billets magnétiques et des tourniquets/valideurs, comme le montre un reportage du journal de 20 h du 25 février 1972 sur les dernières poinçonneuses du métro parisien.

Un autre reportage du JT de 20 h du 27 septembre 1973, intitulé « Voici le nouveau ticket du métro parisien », montre également ce changement important pour la vie quotidienne des Parisiens.


a-2. L’arrivée massive de travailleurs immigrés.

Ce changement se produit au moment de la transformation géographique et humaine de l’Île-de-France. Tandis que l’État met en œuvre un projet de construction des villes nouvelles entre 1969 et 1973, il accélère la résorption des bidonvilles en relogeant des travailleurs africains dans les grands ensembles, des grands ensembles qui avaient été génialement anticipés par Jacques Tati dans « Playtime ».

Il y aura la création de cinq villes nouvelles :

  • Évry : 12 avril 1969
  • Cergy-Pontoise : 16 avril 1969
  • Saint-Quentin-en-Yvelines : 21 octobre 1970
  • Marne-la-Vallée : 17 août 1972
  • Melun-Sénart : 1973

Ces villes vont servir à absorber les populations vivant dans les bidonvilles parisiens, dont la population n’est pas toujours étrangère. Il y a certes des travailleurs africains, mais pas seulement. Même si les villes nouvelles n’ont pas été conçues uniquement pour accueillir les populations immigrées, elles en absorberont une part significative. Ce déplacement de population couvrira une décennie, de 1968 à 1978.

Afin de relier les villes nouvelles, conçues comme des cités-dortoirs, et les lieux de travail dans le centre de Paris, l’État va entreprendre une restructuration massive des moyens de transport. C’est le développement du réseau du RER à la même époque.

Le 14 décembre 1969, c’est l’ouverture de la ligne A du RER entre la place de la Nation et Boissy-Saint-Léger. En janvier 1970, c’est l’ouverture de la gare de La Défense. Le 23 novembre 1971, c’est l’ouverture de la station Auber. Les 8-9 décembre 1977 verront l’ouverture de la station Châtelet–Les Halles. Enfin, en 1983, il y aura l’inauguration de la station de la Gare du Nord.

Les stations du RER sont ultra-modernes, avec des escalators, des tapis roulants, des cheminements standardisés (comme dans « Playtime »). Elles deviennent l’emblème d’une « ville-machine » qui rationalise les flux. La modernisation permet la « massification ».

Un documentaire diffusé le 30 janvier 1971 dans l’émission « Rond-Point » sur « La modernisation de la RATP » montre les chantiers en cours concernant le RER et l’automatisation.

Un autre documentaire, diffusé le 8 novembre 1971, « Les transports publics à Paris en 1971 », explique dans le détail la modernisation des transports en commun (métro, bus et RER) en montrant l’importance de la mécanisation et de l’automatisation des tâches.

Les populations africaines qui arrivent vont tenter d’importer leurs cultures.

La musique « arabe » est présente en France, dans les années 1950-1970, par les cabarets orientaux de Pigalle. Elle reste cependant confinée aux communautés immigrées et à une forme d’exotisme.

Quelques vinyles de raï oranais ou de chaâbi circulent dans les cafés de travailleurs maghrébins, comme ceux de Cheikh El Hasnaoui ou de Dahmane El Harrachi, mais sans relais médiatique dans la société française.

b. Les immigrés dans les médias à patir de 1975.

La déclaration de 1975 prévoit un certain nombre de dispositions culturelles concernant les travailleurs immigrés :

  • diffuser la culture arabe : enseignement, institutions, événements ;
  • encourager une information « objective et plus complète » sur le monde arabe dans les médias ;
  • faciliter la participation culturelle et religieuse des immigrés.

Strasbourg demandait d’objectiver l’information sur le monde arabe et les immigrés. Durant la période 1975-1981, les documentaires ne valorisent pas encore la culture arabe ou musulmane, mais ils montrent les immigrés au travail, rarement leur vie culturelle ou religieuse. On va passer des immigrés comme « bras » de la modernisation à la RATP ou à la SNCF à une reconnaissance de leur rôle social et économique (b-1). La reconnaissance culturelle aura lieu dans la période suivante et en particulier à partir de 1983-1987 (émissions sur l’islam à la télévision ou création de l’Institut du monde arabe). Nous en reparlerons. C’est un moment charnière la France entre dans la modernité technique en même temps qu’elle devient une société d’immigration visible. Strasbourg 1975 cherchait à cadrer cette mutation en demandant aux médias de mettre en avant non seulement la force de travail, mais aussi la culture et la dignité des immigrés.
De même, au cinéma, c’est le tournant décisif de la sortie du film d’Yves Boisset « Dupont Lajoie » qui change le narratif sur les travailleurs immigrés et la population française d’origine (b-2).

b-1. Le travailleur immigré à la télévision.

La proclamation date de 1975, mais les dispositions culturelles ont été adoptées lors d’une réunion préparatoire à Damas en septembre 1974. C’est pour cela qu’elles ont commencé à être appliquées à la télévision française avant 1975.

L’adoption des résolutions culturelles s’accompagne également d’une réforme de l’audiovisuel français : en 1974, c’est la fin de l’ORTF, l’instauration d’une nouvelle grille des programmes et, en particulier, la montée en puissance des magazines.

Lors d’un reportage diffusé le 31 octobre 1974, soit un mois après l’adoption de ces résolutions culturelles, l’émission « Aujourd’hui Madame », sous le titre « Être immigré en France », montre la vie quotidienne des travailleurs immigrés à travers cinq familles, dont une famille algérienne et une famille sénégalaise. Les trois autres familles sont européennes (espagnole, portugaise et yougoslave).

En 1972, on nous présentait des travailleurs immigrés seuls, qui avaient laissé leurs femmes et leurs enfants en Afrique. Ici, femmes et enfants sont là.

Un moment clef du reportage se déroule lorsque la journaliste demande à la famille algérienne s’il est difficile de renoncer à sa culture algérienne pour vivre à l’européenne. Elle s’entend répondre que c’est difficile, qu’elle reste algérienne « dans sa tête ». Elle conclut en déclarant, d’un ton péremptoire, qu’elle n’aurait pas épousé un Français pour cette raison. Il y a manifestement un changement de discours médiatique sous l’influence des négociations en cours dans le cadre du dialogue euro-arabe.

Un autre documentaire de 1977, intitulé « Une journée à la gare de Lyon », montre l’envers du décor d’une grande gare parisienne. C’est une mine d’informations sur l’organisation du travail au sein de la compagnie nationale de transport ferroviaire.


Il constitue à lui tout seul un résumé de la transformation sociale dont je vous parle depuis le début : réorganisation des flux de passagers, informatisation progressive (billetterie, aiguillage) et mécanisation du tri des bagages.

En parallèle, la caméra montre les équipes de manutention composées en grande partie d’ouvriers immigrés (Afrique du Nord, Afrique noire). Le journaliste s’étonne du recours accru à la sous-traitance à des entreprises privées dans des domaines rentables, sans faire le lien avec l’emploi de travailleurs nord-africains. La SNCF est une entreprise nationale qui ne peut recruter que des travailleurs français. En externalisant certaines tâches, elle permet le recrutement d’étrangers pour réaliser des tâches « ingrates ».

On note d’ailleurs un contraste entre deux types d’emplois :

  • les « emplois nobles » (contrôleurs, aiguilleurs, guichetiers) sont souvent occupés par des Français ;
  • les tâches physiques (nettoyage, bagages, ateliers) sont de plus en plus assignées à la main-d’œuvre immigrée.

b-2. Le travailleur immigré au cinéma : « Dupont Lajoie » d’Yves Boisset (1975).

La sortie en salle du film d’Yves Boisset « Dupont Lajoie » en 1975 (justement) constitue un tournant majeur dans le narratif sur les Nord-Africains et leur rapport compliqué avec les populations françaises d’origine.

Le film montre que la population française d’origine peut être raciste. C’est l’histoire d’un commerçant « bien sous tous rapports » qui accuse un ouvrier immigré d’un crime qu’il a commis lui-même : il fait du Nord-Africain un « bouc émissaire ».

Le film est sélectionné à Berlin et remporte un Ours d’argent.

Il arrive en pleine crise économique, après le choc pétrolier de 1973, qui va provoquer une transformation des métiers et des territoires. Il condense l’angoisse sociale d’une partie des classes moyennes et populaires, une angoisse qui transparaît dans quasiment tous les reportages de la télévision de l’époque et que le film vient transfigurer. Le réalisateur prend ouvertement le point de vue du Nord-Africain contre celui du Français, ce qui constitue un tournant majeur.

C. Tentatives de résistance à l’invasion migratoire (1977-1981).

Pour conclure l’article, il faut évoquer rapidement les tentatives de résistance de la classe politique de l’époque face à l’invasion migratoire. C’est un élément important qu’il ne faudrait pas négliger. Cela ne s’est pas produit sans une certaine résistance (vaine) et une anticipation des problèmes que cela allait poser pour l’avenir plus ou moins lointain.

Après la démission fracassante de Jacques Chirac, le gouvernement suivant de Raymond Barre va tenter, à partir de 1977, de revenir sur toutes les décisions de Chirac concernant la politique migratoire. Il va essayer de suspendre le regroupement familial (1), le « million Stoléru » et le retour forcé (2), et enfin la loi Bonnet (3).

Raymond Barre

1. Tentative de suspension du regroupement familial (1977-1978).

Après le départ de Jacques Chirac de son poste de Premier ministre, le 25 août 1976, Raymond Barre est nommé Premier ministre le même jour. Il va remettre en cause la décision de son prédécesseur sur le regroupement familial par le décret du 10 novembre 1977.

Mais des associations, dont le GISTI (Groupe d’information et de soutien des immigrés), attaquent ce texte devant le Conseil d’État.

Par une décision historique du 8 décembre 1978, la plus haute juridiction administrative annule le décret de 1977 et restaure le regroupement familial. Elle consacre le droit de mener une vie familiale normale comme un principe général du droit (PGD), s’inspirant du Préambule de la Constitution de 1946.

Cette décision a eu une portée considérable : elle a sanctuarisé le regroupement familial, empêchant le gouvernement de le suspendre par un simple acte réglementaire, alors même qu’il avait été instauré par décret.

2. Le « million Stoléru » et le retour forcé (1977-1978).

La même année, le gouvernement de Raymond Barre met en place une politique de retours forcés de la main-d’œuvre étrangère vivant en France. Il affiche un objectif de reconduite à la frontière d’un demi-million de personnes, en visant tout particulièrement les pays africains.

Lionel Stoleru.

Il accompagne cette politique de retour forcé d’une aide au retour volontaire de dix mille francs. On surnommera cette mesure « le million Stoléru ». En effet, dix mille francs (nouveaux) faisaient un million d’anciens francs. J’ai connu l’époque où certaines personnes âgées (ma grand-mère et mon grand-père) parlaient en « anciens francs ».

De même, Lionel Stoléru était secrétaire d’Etat chargé de la condition des travailleurs manuels et immigrés.ministre du Travail.

3. La loi Bonnet (1980).

Le 10 janvier 1980 est votée la loi Bonnet, qui va modifier la loi du 2 novembre 1945. Elle va durcir les conditions d’entrée sur le territoire français.

Christian Bonnet

Les principales dispositions sont :

  • elle rend plus strictes les conditions d’entrée sur le territoire ;
  • elle fait de l’entrée ou du séjour irréguliers un motif d’expulsion au même titre que la menace pour l’ordre public ;
  • elle permet d’éloigner du territoire les « clandestins » ou ceux dont le titre de séjour n’a pas été renouvelé ;
  • enfin, elle prévoit la reconduite de l’étranger expulsé à la frontière et sa détention dans un établissement pénitentiaire pendant un délai pouvant aller jusqu’à sept jours s’il n’est pas en mesure de quitter immédiatement le territoire.

La promulgation de la loi va déclencher un certain nombre de grèves de la faim, dont la plus médiatisée est celle menée par trois personnalités différentes : un pasteur (Jean Costil), un prêtre (Christian Delorme) et un travailleur immigré (Hamid Boukhrouma).

Le 10 mai 1980, une grande manifestation est organisée par le Parti socialiste, le PSU, la CFDT et la Ligue des droits de l’Homme. La Fédération de l’Éducation nationale (FEN) se joint au mouvement dans une manifestation organisée le 7 juin 1980. Ils vont se regrouper pour fonder la Fédération des Associations de Solidarité avec les Travailleurs Immigrés (FASTI). La mobilisation concerne autant la loi Bonnet que la politique de Lionel Stoléru.

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